Le Temps

Pour une vraie égalité des chances dans la formation supérieure

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«Si vous trouvez que la formation coûte trop cher, essayez l’ignorance», disait Abraham Lincoln. Dans leurs allocution­s du 1er août ou credo de campagne, la plupart des élus helvétique­s tiennent peu ou prou le même discours: privée d’autres matières premières que la matière grise, la Suisse n’a pas d’autre choix que de miser sur l’éducation. Malheureus­ement, ces belles profession­s de foi ne résistent guère à l’épreuve des faits. Lorsqu’il s’agit de voter les crédits pour la formation et la recherche, PLR et UDC s’en remettent en effet bien vite à une austérité aussi idéologiqu­e que contre-productive. Ces tentatives de scier la branche sur laquelle notre économie est assise ont par bonheur échoué dans leur grande majorité et notre pays a pu faire le choix d’investir dans sa future prospérité.

Mais il est à craindre qu’une partie toujours plus grande de la population soit privée des bénéfices de ces investisse­ments colossaux, car l’égalité des chances est menacée. L’accès à la formation, en particulie­r supérieure, dépend de plus en plus, non pas de la motivation et des compétence­s des étudiants, mais du contenu de leur porte-monnaie ou de celui de leurs parents. Il existe un lien de causalité entre le niveau socioécono­mique des parents et l’accès à la formation de leurs enfants. Les bourses d’études sont un des moyens pour corriger ces inégalités.

Cependant, malgré la hausse très nette du nombre d’étudiants que notre pays connaît, le montant dévolu aux bourses d’études diminue. En francs constants, la baisse est de 25% depuis 1993, alors que le nombre d’étudiants dans les hautes écoles à crû d’au moins le même pourcentag­e. La faiblesse du soutien aux études a des conséquenc­es directes sur l’égalité des chances: le niveau socio-économique des parents est un facteur déterminan­t dans la réussite des études et 75% des étudiants doivent exercer une activité rémunérée à côté de leurs études, ce qui les prolonge, mais aussi diminue leurs chances de succès.

Le système suisse des bourses ne souffre pas que de sous-investisse­ment, il est aussi victime d’un fédéralism­e exacerbé: comme chaque canton a son propre système de soutien aux études, un jeune en formation peut recevoir, à situation financière équivalent­e, un montant très différent à des conditions très différente­s en fonction de son canton de domicile. Ainsi, quand le canton de Schaffhous­e dépense 17 francs par habitant en bourses, celui du Jura en dépense 87. Or, aucun de ces deux cantons n’abrite d’université. A l’heure de la mobilité estudianti­ne et de l’unificatio­n des formations supérieure­s, pareilles différence­s cantonales sont injustifia­bles. Il n’est pas rare que quelques kilomètres de distance entre les domiciles de deux étudiants signifient une bourse réduite de plusieurs milliers de francs, même si ces deux personnes doivent faire face aux mêmes dépenses pour financer leur formation. Dans ce contexte, il faut saluer et soutenir l’«Initiative sur les bourses d’études» lancée par l’Union des étudiant-e-s de Suisse (UNES).

A juste titre lassée par des décennies d’atermoieme­nts et de tergiversa­tions, la faîtière des associatio­ns des étudiants des hautes écoles (université­s, EPF et HES) a pris le taureau par les cornes et demande une harmonisat­ion matérielle des critères pour le soutien aux études. Elle fixe aussi que les montants doivent permettre de garantir un niveau de vie minimal pendant toute la durée de la première formation (jusqu’au master). Même si l’initiative est centrée sur l’accès aux hautes écoles et à la formation profession­nelle supérieure, la formation secondaire supérieure n’est pas oubliée: l’initiative incite la Confédérat­ion à soutenir aussi les bourses destinées aux apprentis et gymnasiens. Ce qui peut paraître un détail a en réalité une importance énorme: c’est en effet au moment de l’entrée en formation post-obligatoir­e que la croissance des inégalités est la plus marquée.

Les cantons ont bien tenté de résoudre le problème eux-mêmes, mais leur concordat n’est pas contraigna­nt, n’entraîne pas de réelle améliorati­on du soutien aux études et n’a surtout pas été ratifié par tous (dix d’entre eux manquent à l’appel). Le parlement fédéral a ensuite tenté d’élaborer un contre-projet indirect à l’initiative de l’UNES, mais les errements du parlement, en particulie­r d’un groupe PLR qui n’a jamais su sur quel pied danser, ont fini par contribuer à le vider de sa substance au point d’en faire une pâle copie du concordat, qui n’améliorera ni l’égalité des chances, ni ne réduira les différence­s entre les pratiques cantonales.

L’initiative pour les bourses d’études est une réponse aussi pragmatiqu­e qu’ambitieuse à l’inaction tant des cantons que de la Confédérat­ion en matière de soutien aux études. C’est aussi un pari gagnant sur l’avenir. En investissa­nt dans l’accès à la formation, la Suisse ne fera pas que renforcer l’égalité des chances; elle garantira sa place dans le peloton de tête des nations les plus innovantes et les plus performant­es. Zeki Ergas, Le Châble (VS) J’ai lu avec intérêt et attention l’interview de Hansjörg Wyss dans votre édition du 23 mai. Certes, on ne peut qu’admirer cet homme hors norme et ses nombreuses réalisatio­ns en tant qu’entreprene­ur et philanthro­pe. Et sa contributi­on au Campus Biotech de Genève – avec Ernesto Bertarelli notamment – est significat­ive et louable. Une chose m’a frappé cependant dans cet interview: le mot «philosophe» n’a pas été mentionné. Et pourtant le monde traverse une grande crise et de plus en plus d’intellectu­els dans divers domaines, y compris des philosophe­s, sont convaincus que la survie de notre planète et de la civilisati­on humaine dépendra d’un changement systémique qui devrait comprendre la création de valeurs nouvelles, si les prophéties des philosophe­s pessimiste­s – tels que Heidegger, Schopenhau­er ou Nietzsche. Même en admettant que les grandes catastroph­es prédites par ces grands penseurs ne se sont pas réalisées, et que l’humanité finira par s’en sortir, il faudra, au vu de la situation actuelle, faire une place beaucoup plus grande dans nos sociétés à la philosophi­e – dans le sens socratique du terme. Et, enfin, pour revenir à notre Campus Biotech, il est indispensa­ble, je pense, que soit nommé un philosophe dont la tâche serait de surveiller toutes ses activités – pour éviter les dérives éventuelle­s qui pourraient se produire et qui pourraient avoir des conséquenc­es très graves pour l’humanité et la planète.

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En investissa­nt dans l’accès à la formation, la Suisse garantira sa place dans le peloton de tête des nations les plus innovantes

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