«La tierce propriété ne doit pas être interdite, mais transparente»
Le congrès abordera aussi la récente interdiction des investisseurs tiers dans le football, ce vendredi à Zurich Deux juristes proposent d’instaurer certaines limites
Propos recueillis par Servan Peca
Ce vendredi à Zurich, il n’y a pas que l’élection du président de la FIFA, pour laquelle Sepp Blatter, reste le favori, en dépit des nouvelles enquêtes pour corruption, amorcées cette semaine en Suisse et aux Etats-Unis. A l’ordre du jour du 65e congrès de la fédération figure aussi un point sur la tierce propriété. Les TPO, pour «third party ownership», sont interdits par la FIFA depuis début mai (lire l’encadré ci-dessous).
Les experts sont nombreux à penser que cette éradication est illusoire, tant le réseau d’investisseurs tiers est complexe. Jérôme Jaquier et Shervine Nafissi, respectivement avocat associé chez Panemax à Lausanne et doctorant en droit, proposent une alternative: réglementer et instaurer de la transparence dans les liens économiques entre joueurs, investisseurs, clubs, présidents, agents ou directeurs sportifs.
Le Temps: Comment expliquer la rapidité avec laquelle la FIFA a décrété l’interdiction des TPO? Shervine Nafissi:
C’est vraisemblable- ment un coup politique. La FIFA a voulu soigner son image, passablement écornée. Elle était fortement mise sous pression. Si elle n’avait pas agi, l’UEFA était prête à aller très loin, par exemple en interdisant l’accès à ses compétitions aux clubs qui détiennent des joueurs en tierce propriété.
– Par exemple? – J. J.:
Jérôme Jaquier:
Il peut sembler étonnant que la FIFA ait été si rapide pour aborder une problématique aussi complexe. Elle a cette liberté d’agir parce qu’elle est en Suisse, où le droit des associations lui laisse une énorme autonomie. On parle souvent de l’attrait fiscal de la Suisse, mais cette flexibilité juridique est un critère d’implantation tout aussi important pour ces fédérations sportives.
– Est-ce pour cette raison que les ligues espagnole et portugaise utilisent la voie juridique «étatique» – les instances européennes – pour contester cette interdiction? – S. N.:
Elles ont peu de chances devant un tribunal sportif. Ce sont ces instances extérieures au football qui peuvent éventuellement contester les décisions de la FIFA. Il y a quantité d’autres exemples de ce type, comme les procédures lancées contre le fair-play financier de l’UEFA, ou comme l’athlète Claudia Pechstein, qui a fini par trouver un soutien auprès de la Cour d’appel de Munich.
– La FIFA a-t-elle une chance de réussir à éradiquer les TPO? – J. J.:
Je demande à voir… Et même si elle y parvient, d’autres types de montage permettent déjà de contourner cette interdiction.
Les investisseurs tiers n’achètent pas des parts de joueurs mais prêtent à un club afin qu’il puisse financer un transfert, en échange d’intérêts et de certaines garanties, par exemple lors de la revente de ce même joueur. Il n’est alors plus question de propriété. Mais ces «options» ont clairement une influence sur la carrière d’un joueur. Il n’est alors plus totalement libre de ses choix.
– Que devait faire la FIFA, dans ce cas? – J. J.:
Selon nous, les TPO ne doivent pas être interdits aussi radicalement. Il faut de la transparence. Il devrait être exigé des fonds d’investissement qu’ils rendent publics les parts et les intérêts économiques qu’ils détiennent. Il faudrait aussi limiter le nombre de joueurs par club appartenant à plusieurs investisseurs et fixer un plafond individuel. Un fonds n’aurait pas le droit de dépasser une certaine part de propriété dans un joueur.
– Deux enquêtes ont montré que les fonds ne sont pas les seuls investisseurs tiers. Des directeurs sportifs, des agents, des entraîneurs, des présidents font aussi partie de ces réseaux. Bref, les conflits d’intérêts ne manquent pas. – S. N.:
Il faudrait aussi légiférer sur l’identité des propriétaires de fonds. Ceux qui sont détenus par une personne proche du joueur, comme c’était le cas avec Neymar et son père par exemple, ne devraient pas pouvoir investir dans ses droits économiques.
– N’est-il pas illusoire de penser que ce milieu fondamentalement opaque puisse être un jour vraiment transparent? – S. N.:
Peut-être, mais cette solution est meilleure qu’une multiplication des opérations clandestines. Cela permettrait, au moins en partie, un meilleur contrôle.
Nous ne sommes pas dupes, il y aura toujours des lacunes. Mais quelques mesures assez simples pourraient améliorer les choses. Un joueur ne devrait par exemple pas pouvoir être détenu à
– J. J.:
plus de 49% par un tiers. Lui détiendrait la majorité… sur sa vie!
– L’UEFA le dit ouvertement: puisque les investisseurs cherchent à faire des plus-values régulières, les TPO alimentent l’hyperinflation des sommes de transferts. – J. J.:
Les millions d’euros d’investissement concédés par le Real Madrid pour acheter Cristiano Ronaldo ou, à l’époque, David Beckham ont rapidement été rentabilisés grâce à la vente de maillots et de produits dérivés. Ces prix sont certes très élevés, mais tout le monde y trouve son compte. Une bonne vente peut permettre de financer la vie associative d’un club. C’est aussi grâce à la tierce propriété que le FC Porto a pu se hisser à un tel niveau. Et c’est pour ces raisons de compétitivité que l’interdiction de la FIFA est contestée.
– Vous citez là les deux joueurs les plus «bankables» qui soient. Est-ce vraiment sensé que la valeur d’un joueur de 22 ans comme Paul Pogba – milieu de terrain français de la Juventus – soit déjà évaluée à 100 millions d’euros? – N. N.:
Il ne faut pas oublier l’essentiel: dans ce genre de transactions, les deux parties sont d’accord. En fait, au-delà des montants engagés, ce qui me surprend davantage, c’est la fréquence avec laquelle les joueurs changent d’employeurs – de clubs. Et cela continue de s’accélérer. Sous l’angle du droit du travail, c’est gênant.
– Pour quelle raison? – N. N.:
Est-ce vraiment la décision du joueur? J’en doute. Les exemples de joueurs ballottés sont nombreux, le plus connu étant celui de l’attaquant colombien Falcao [passé par Porto, Madrid, Monaco, Manchester et en partance pour… ailleurs, en cinq ans, ndlr]. Juridiquement parlant, cette situation va à l’encontre de la notion de stabilité contractuelle. Une notion que prévoyait pourtant l’arrêt Bosman, en instaurant des indemnités de départ.