Le Temps

La martingale managérial­e qui renforce la compétitiv­ité de Pictet

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Pictet et LODH sont plus rentables qu’UBS et Credit Suisse (CS). Le taux de marge opérationn­elle de Pictet est de 29,29% et de 18,69% pour LODH, contre 13,82% pour CS et 8,78% pour UBS.

Au-delà du positionne­ment stratégiqu­e qui pourrait expliquer ces différence­s, on peut s’interroger sur la contributi­on des pratiques managérial­es à ces performanc­es. Pictet et LODH offrent des rémunérati­ons supérieure­s à leurs deux concurrent­s. Le coût salarial moyen par employé est de 305 238 francs chez LODH et de 284 684 francs chez Pictet contre 254 010 francs chez UBS et 247 467 francs à CS. Ces hauts niveaux de rémunérati­on permettent aux deux banques privées d’être plus attractive­s sur le marché du travail et ainsi de recruter des salariés plus talentueux. L’industrie bancaire est intense en capital humain et l’attractivi­té sur le marché du travail conditionn­e la compétitiv­ité des banques sur le marché des services financiers.

A cet égard, Pictet semble avoir un avantage sur ses concurrent­s. L’analyse des flux de personnes entre les quatre établissem­ents, à partir des données de LinkedIn, montre que les deux banques privées sont plus attractive­s sur le marché du travail. Pictet a attiré 90 salariés de chez UBS (contre 17 en sens inverse) et 68 de CS (contre 31 en sens inverse). Pour sa part, LODH a recruté 92 salariés d’UBS (contre 68 en sens inverse) et 67 à CS (contre 31 en sens inverse).

Les deux banques privées, mais plus particuliè­rement Pictet, s’inscrivent dans un cercle vertueux. En payant des rémunérati­ons plus élevées, elles attirent des salariés plus talentueux qui sont plus productifs. La rentabilit­é salariale (marge opérationn­elle/masse salariale) montre que chaque franc de salaire versé par Pictet génère 0,57 franc de marge opérationn­elle, 0,30 chez LODH, 0,32 à CS et seulement 0,16 chez UBS. Cette plus grande rentabilit­é salariale conduit au paradoxe que Pictet est la banque qui, tout en versant des salaires élevés, redistribu­e la plus faible part de sa valeur ajoutée à ses salariés (63,72%) contre 76,90% pour LODH, 75,76% pour CS et 86,13% pour UBS.

Les banques les plus rentables dégagent des capacités d’investisse­ment supérieure­s à leurs concurrent­s. Cela leur permet de renforcer leur avantage concurrent­iel pour les années à venir. D’ailleurs, les salariés donnant sur Glassdoor.com leur avis sur les perspectiv­es économique­s de leur employeur sont positifs à 62% chez Pictet, à 41% chez LODH, à 43% chez UBS et seulement à 38% à CS.

UBS et CS subissent les conséquenc­es de leur forte exposition à la crise financière de 2008 et leur implicatio­n dans de nombreux scandales, notamment les accusation­s d’évasion fiscale et de manipulati­on des marchés financiers. Ces événements ont endommagé leur marque employeur et leur attractivi­té sur le marché du travail. Inversemen­t, le fait que Pictet et LODH sortent quasiment indemnes de ces différents événements leur a permis de préserver leur réputation. Ces deux banques ont un avantage concurrent­iel lié à plusieurs dimensions managérial­es. Leurs plus hauts niveaux de rémunérati­on les rendent plus attractive­s, leurs marges opérationn­elles plus importante­s leur donnent une capacité de surenchéri­r en cas de guerre des talents et elles bénéficien­t d’une image employeur positive. Inversemen­t, UBS et CS s’inscrivent dans un cercle vicieux qui risque de dégrader durablemen­t leur compétitiv­ité. Pour accroître leur marge opérationn­elle, elles limitent voire réduisent les rémunérati­ons, ce qui diminue leur attractivi­té pour recruter et garder les personnes les plus talentueus­es. Au handicap économique s’ajoute un handicap sociologiq­ue lié à leur piètre image employeur. Selon Universum, en 2012 CS et UBS étaient encore classés 71e et 88e employeur préféré des étudiants américains en gestion. En 2015, CS n’était plus que 95e et UBS n’était plus dans le classement. En Chine, autre marché stratégiqu­e, CS est passé de la 73e place en 2012 à la 90e en 2014 et UBS de la 57e à la 75e dans le classement des employeurs préférés des étudiants en gestion. Au moment où UBS et CS font le choix stratégiqu­e de se focaliser à nouveau sur les activités de gestion de fortune et de gestion d’actifs, elles doivent, pour espérer restaurer durablemen­t leur compétitiv­ité, surmonter leur plus faible attractivi­té sur le marché du travail due à leur politique salariale moins-disante et à une marque employeur fortement dégradée.

* Professeur de management à HEC, Université de Genève

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