Nicolas Steinmann, l’ingénieur romand du Gothard
Nicolas Steinmann est le seul ingénieur romand sur le chantier du Gothard Le nouveau tunnel sera ouvert dans exactement un an
Bernard Wuthrich
Depuis vingt ans, Nicolas Steinmann prépare un record mondial. Ce Neuchâtelois de 50 ans est le seul ingénieur romand sur le chantier du tunnel ferroviaire du Gothard. Lorsque celui-ci sera mis en service dans exactement un an, il sera, avec ses 57 kilomètres, le plus long du monde. «Cette construction sera inscrite dans les annales. Et ce sera la troisième fois qu’un tunnel suisse sera le plus long de la planète», relève-t-il non sans quelque fierté.
Ce fut d’abord le tunnel de faîte du Gothard (15 kilomètres) inauguré en 1882, puis celui du Simplon (19,8 kilomètres), ouvert en 1905. Le premier rang mondial est occupé depuis 1983 par la liaison souterraine du Seikan (53,8 kilomètres), au Japon. Elle cédera la place au tunnel de base du Gothard dans un an. Ce lundi, une cérémonie réunissant à Lucerne la conseillère fédérale Doris Leuthard et le patron des CFF, Andreas Meyer, va marquer l’importance de cette future inauguration pour le continent européen.
Nicolas Steinmann, le bien nom- mé «homme de pierre», est entré dans le projet du Gothard en 1994. Fils de cheminot, passionné de trains, il a fait ses études d’ingénieur en électrotechnique au Locle avant d’entrer aux CFF en 1990. Il a alors été incorporé à la direction générale des travaux, dans la section des équipements électriques. Quand les CFF ont créé une nouvelle unité pour préparer la construction du tunnel de base du Gothard, il lui a été rattaché.
Il exerce aujourd’hui la fonction de chef de projet pour les équipements électriques de traction au sein de la société AlpTransit Gotthard (ATG), qui a été privatisée à la suite d’un audit commandé par le conseiller fédéral Moritz Leuenberger. Cet audit a conclu à la nécessité de séparer le constructeur de l’ouvrage de son futur exploitant, en l’occurrence les CFF. Cela fut fait en 1998 et les bureaux d’ATG ont été transférés de Berne à Lucerne l’année suivante.
La division de la technique ferroviaire dont le Neuchâtelois fait partie n’a déménagé qu’en 2005. Mais Nicolas Steinmann, marié à une enseignante de l’Ecole cantonale de langue française et père d’une fille de 19 ans, est resté domicilié à Berne. Il pendule entre la capitale, Lucerne et le chantier du siècle. Par la force des choses, il est devenu bilingue, même trilingue car l’italien fait partie de son quotidien. «Et j’ai dû me familiariser avec le dialecte, car les séances ne se déroulent pas en Hochdeutsch », sourit-il.
Outre son travail technique, Nicolas Steinmann est aussi devenu, un peu malgré lui, guide, puisqu’il est le seul cadre francophone de l’entreprise. Cela tombe à pic: il adore communiquer. La section information d’ATG lui a confié la responsabilité des contacts avec les visiteurs et les médias francophones. «Le Gothard est parfois mal perçu en Suisse romande. On l’associe à des surcoûts, à la concurrence avec d’autres projets. Or, je souhaite délivrer un message différent, montrer la complexité de l’ouvrage, les difficultés rencontrées et, surtout, le fait que les coûts ne sont pas du tout dépassés», résumet-il. Le dernier rapport d’étape publié par l’Office fédéral des transports lui donne raison. Il montre que les coûts estimatifs annoncés par les constructeurs ont diminué de 200 millions. La facture des chantiers des NLFA (Lötschberg, Gothard et Ceneri) est désormais devisée à 18,2 milliards.
Nicolas Steinmann accueille chaque année une demi-douzaine de groupes de visiteurs romands, soit bien moins que les germanophones ou les italophones. Il a reçu le président de la région Rhône-Alpes, JeanJack Queyranne, des équipes de télévision de France 3 et de TV8 MontBlanc, la RTS ainsi qu’un rédacteur du magazine Science et Vie pour un hors-série consacré aux plus grands chantiers du monde.
«Je ne voudrais pas faire que ça, mais je trouve sympa de vulgariser», poursuit-il. A l’intention de ses invités, il a préparé une présentation aussi divertissante que didactique. Il illustre de manière dynamique les différences de trajet et de temps de parcours entre l’ancienne ligne sommitale et le nouveau tracé souterrain. Il montre que, si on les aligne sur des wagons, les matériaux excavés durant les travaux équivalent à la distance Zurich-New York. Et il s’ingénie à comparer le maigre volume de papier qui a été nécessaire pour le premier Gothard et le Simplon aux kilomètres d’études, de contrats, d’adjudications et de documents techniques qui ont été produits pour le nouveau tunnel. Vertigineux!
Il s’appuie, bien sûr, sur beaucoup de chiffres. «Je n’en ai pas la passion, mais je souhaite expliquer visuellement ce qu’ils représentent, les mettre en scène», précise-t-il. Il s’était déjà livré à cet exercice en 2002 lorsqu’il a cosigné un prestigieux ouvrage trilingue et photographique de Maurice Schobinger intitulé Gotthard, Via Subalpina. Dans cette publication préfacée par Moritz Leuenberger, Nicolas Steinmann consacre un chapitre passionnant aux «chiffres du Gothard». Pour accompagner ces données, il cite Jules Verne: «Maintenant, Axel, s’écria le professeur d’une voix enthousiaste, nous allons nous enfoncer véritablement dans les entrailles du globe. Voici donc le moment où notre voyage commence.»
C’est tout Nicolas Steinmann, ça. A chaque fois qu’il en a l’occasion, il glisse un peu de poésie dans ce monde de brut qu’est la roche, dans la poussière des gravats, dans la grise austérité du béton. Le 4 décembre 2005, à l’occasion de la fête de sainte Barbe, la patronne des mineurs, il a fait venir une chorale italienne sur place, le Coro polifonico dei minatori di Santa Barbara. Trois concerts ont été organisés à l’intention des riverains du chantier.
«C’était l’occasion de leur offrir une dimension musicale, cela les changeait de la poussière», sourit-il. Dans le même souci de rendre la pierre moins dure, il a collaboré avec Le Temps dans le cadre d’une série estivale «Saveurs du français» consacrée au vocabulaire de la montagne, au «champ sémantique des tunnels ferroviaires».
Si «ce projet caractéristique d’une Suisse visionnaire» est en mains alémaniques et tessinoises, si de nombreux ouvriers viennent d’un peu partout en Europe, Nicolas Steinmann est «le Romand» du Gothard. Mais il n’est pas le premier francophone à s’être passionné pour la traversée de la chaîne alpine. La construction du tunnel de faîte avait été confiée en 1872 à une société genevoise dirigée par l’ingénieur Louis Favre. Si le massif du Gothard est éloigné de la Suisse romande, les Romands ne sont jamais très loin des travaux entrepris pour le franchir.
Le Neuchâtelois sert de guide aux visiteurs francophones. A chaque fois qu’il en a l’occasion, il glisse un peu de poésie dans sa présentation