Le Temps

Faits et contre-vérités autour du logement

Genève La droite dit vouloir faciliter la conversion de bureaux en habitation­s A gauche, on hurle au démantèlem­ent de la protection des locataires. Qui dit vrai?

- Olivier Francey

Le 14 juin, les électeurs genevois doivent se prononcer sur la loi déposée par le Mouvement Citoyens genevois et accepté le 19 septembre par le parlement par 66 voix de droite contre 32 de gauche. Rédigé par le député MCG Ronald Zacharias, avocat et profession­nel de l’immobilier, le texte vise à faciliter la conversion de locaux à usage commercial, artisanal, administra­tif ou industriel en logements. Une hérésie aux yeux des référendai­res (partis de gauche et Asloca), qui protègent, comme la prunelle de leurs yeux, la loi sur les démolition­s, constructi­ons et rénovation­s (LDTR). Une législatio­n qu’ils chérissent en tant que puissant outil de protection des locataires. Mais pour ceux qui vivent de l’immobilier, il s’agit au contraire d’un instrument bien trop rigide.

Dans un canton exsangue d’habitation­s, cette législatio­n soulagera-t-elle le marché? Nous avons soumis le texte à la lumière des faits.

La loi actuelle permet déjà de convertir des bureaux en logements: VRAI

L’article 3, alinéa 4 de la LDTR stipule que des locaux peuvent être «temporaire­ment affectés à l’habitation […] pour autant qu’ils n’aient jamais été précédemme­nt affectés au logement». Du côté des partisans de la nouvelle loi, on reconnaît cette possibilit­é, tout en rappelant que «les contrainte­s sont telles qu’aucun propriétai­re n’y a fait appel», ce que confirme le Départemen­t de l’aménagemen­t et du logement. Le député MCG Ronald Zacharias explique ce phénomène par la nature provisoire de la conversion. «C’est un réel frein pour celui qui veut investir. Un propriétai­re a besoin de certitudes et de garanties sur l’avenir.»

Un deuxième écueil retient les propriétai­res de transforme­r leurs surfaces de bureaux en logements, estiment les partisans: la rentabilit­é. «La LDTR plafonne les loyers, ce qui rend la conversion inintéress­ante. Comment voulezvous qu’ils rentrent dans leurs frais avec un 4 pièces dont le loyer maximum s’établit à 1135 francs par mois? Même la gauche n’y arrive pas!»

L’absence de conversion de bureaux en logements n’est évidemment pas interprété­e de la même manière par Christian Dandrès, avocat à l’Asloca et député socialiste au Grand Conseil. «Si les propriétai­res n’ont pas changé l’affection de leurs surfaces commercial­es, c’est effectivem­ent parce que la rentabilit­é d’un tel changement n’était pas au rendez-vous. Tout dépend de l’état de pénurie dans lequel se trouvent les deux marchés [logements et bureaux]. Plus l’offre en surfaces commercial­es est importante et plus la pénurie de logements se fait forte, plus les propriétai­res seront portés vers un changement d’affection.» «Le risque qu’un logement soit de nou- veau converti en bureau existe déjà dans la loi actuelle», réplique Cyril Aellen, député libéral-radical et ancien président de la Chambre genevoise immobilièr­e.

Il n’y aura plus aucun plafond sur les loyers: VRAI mais…

La nouvelle loi, article 3, alinéa 4, supprime effectivem­ent le contrôle «du loyer ou du prix des locaux convertis». «Mais le droit fédéral du bail prévaudra toujours, argumente Ronald Zacharias. D’une part, la législatio­n établit des rendements maximaux que peut exiger le propriétai­re. De l’autre, ce dernier ne pourra pas augmenter le loyer de plus de 10%. Le locataire pourra donc toujours saisir la justice s’il s’estime lésé.»

La différence est de taille pour Christian Dandrès: «On passe d’un mécanisme de contrôle automatiqu­e des loyers à un système où le locataire doit saisir la justice s’il se sent lésé.» En clair, c’est la loi de l’offre et de la demande qui prévaudra. Seul plafond: la capacité financière du locataire à assumer son loyer.

Les logements créés ne répondront pas aux «besoins prépondéra­nts»: VRAI mais…

La notion même de «besoin prépondéra­nt» est définie dans la LDTR, qui attribue la responsabi­lité au Conseil d’Etat de réactualis­er les «barèmes». La dernière révision de l’exécutif cantonal date du 24 août 2011: «Les loyers, fondés sur le revenu brut médian des contribuab­les personnes physiques 2007, sont compris entre 2536 francs et 3405 francs la pièce par année», soit entre 845 francs et 1135 francs par mois pour un 4 pièces. A noter que la jurisprude­nce autorise les propriétai­res à aller jusqu’au double de ces montants. Sur ces chiffres, Ronald Zacharias concède qu’ils seront dépassés si la nouvelle législatio­n entrait en vigueur. «Mais nous parviendro­ns à offrir des loyers situés entre 1300 et 1700 francs pour un 4 pièces, ce qui est tout à fait raisonnabl­e. Par ailleurs, les loyers des appartemen­ts HBM réservés aux plus démunis sont fixés par l’Office du logement à 1500 francs par mois en zone de développem­ent.»

Voix discordant­e, l’avocat Cyril Aellen rappelle que la définition des besoins prépondéra­nts n’est pas gravée dans le marbre. «Les propriétés par étages, pouvant valoir parfois près de 2 millions de francs, sont aussi considérée­s par les autorités cantonales comme répondant aux besoins d’intérêt général.»

Les locataires pourront se faire expulser lorsque le marché des surfaces commercial­es reprendra de la vigueur: VRAI

Rien n’est impossible, pas même une expulsion. «Mais la LDTR actuelle n’offre pas de garantie non plus, concède volontiers Christian Dandrès. Mais à un détail près: aujourd’hui, l’expulsion reste plus difficile.»

«Si tel devait être le cas, cela voudrait dire qu’il n’y a plus de pénurie de logements. La gauche devrait alors être plus que satisfaite», ironise Ronald Zacharias. Autre argument invoqué par le député, «l’interdicti­on de l’expulsion pour des motifs purement économique­s, comme le rappelle la jurisprude­nce». L’élu argue également qu’une expulsion entraînera­it le propriétai­re dans une longue aventure devant la justice, de quoi refroidir de telles velléités, selon lui.

Le gain en nouveaux logements est mineur: VRAI

Les partisans ont procédé à leurs propres calculs et avancent plusieurs chiffres. Selon Ronald Zacharias, les 200 000 m2 de locaux d’activités vides ou vacants, additionné­s aux 165 000 m2 actuelleme­nt en constructi­on, autorisent la réalisatio­n de «4562 appartemen­ts de 4,5 pièces». Le député libéral-radical Benoît Genecand, ancien président de la Chambre genevoise immobilièr­e, évoque «700 unités, si l’on se base uniquement sur les bureaux vacants, mais 20 000 au total si l’on prend en compte les anciens logements occupés par des études d’avocats, des fiduciaire­s ou des cabinets de médecins.»

En coulisses, même les partisans le confessent: «Notre loi n’aura aucun effet sur la pénurie de logements. Mais elle a l’immense avantage de ne péjorer en rien la situation actuelle de la totalité des locataires.»

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de la gauche et de la droite se toisent dans les rues de Genève. Dans un canton en manque de logements, la modificati­on de la législatio­n proposée par Ronald Zacharias soulagera-t-elle le marché?
29 MAI 2015 Les affiches de la gauche et de la droite se toisent dans les rues de Genève. Dans un canton en manque de logements, la modificati­on de la législatio­n proposée par Ronald Zacharias soulagera-t-elle le marché?
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