Le Temps

Un syndicalis­te pour redéfinir le travail

Directeur de l’Organisati­on internatio­nale du travail (OIT) depuis deux ans, le Britanniqu­e Guy Ryder a entrepris de réformer l’institutio­n pour qu’elle puisse faire une différence dans la vie des travailleu­rs sur tous les continents. L’ancien syndicalis­t

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employeurs afin d’améliorer la sécurité. Ce dialogue tripartite constitue notre force. Il nous rapproche des réalités du terrain. Résultat: la majorité des usines de confection au Bangladesh ont été inspectées et mises aux normes de sécurité. Nous avons aidé le gouverneme­nt à établir un service d’inspection du travail, qui était embryonnai­re. Sous l’impulsion de l’OIT, les entreprise­s internatio­nales qui se fournissai­ent au Bangladesh ont créé un fonds d’indemnisat­ion des victimes et de leurs familles. Je veux que nos programmes aient un impact sur le terrain et pas que l’OIT soit une abstractio­n. Bien sûr, le travail normatif effectué à Genève est aussi important. Les convention­s de l’OIT sont les règles du jeu du marché du travail.

– Un emploi à temps plein avec un contrat à durée indétermin­ée est de plus en plus l’exception plutôt que la règle, non?

– Lorsque j’ai commencé à travailler, c’est ce que je voulais. Cet emploi standard a été longtemps synonyme de progrès social. Tout le monde y aspirait. Aujourd’hui, moins d’un travailleu­r sur quatre entre dans ce modèle. Il y a eu une énorme diversific­ation: temps partiel, contrat à court terme, sans oublier que presque la moitié des travailleu­rs sont dans l’économie informelle. L’OIT marquera en 2019 son centième anniversai­re. Dans cette perspectiv­e, j’ai lancé une grande réflexion sur l’avenir du travail. Il faut redéfinir sa place dans la société et sa gouvernanc­e. Les chaînes de production sont de plus en plus mondialisé­es. C’est bien davantage qu’un exercice intellectu­el. Les méthodes que nous appliquero­ns demain pour obtenir davantage de justice sociale seront à coup sûr très différente­s.

– Ces mutations ne sont-elles pas aussi porteuses d’opportunit­és?

– Aux Pays-Bas, il y a aujourd’hui autant d’employés qui travaillen­t à temps partiel qu’à temps plein. Il y a eu une énorme évolution. Le temps partiel n’est plus considéré comme un second choix comme dans les années 1980. C’est aussi le résultat de choix politiques pour valoriser le temps partiel. Mais, dans le monde, les formes d’emploi atypiques restent moins rémunérées que l’emploi standard. La protection sociale est aussi inférieure. Ce n’est pourtant pas une fatalité.

– L’OIT estime que l’économie mondiale devra créer 600 millions de nouveaux emplois d’ici à 2030. N’est-ce pas un voeu pieux?

– Nous aurons surtout besoin de ces nouveaux emplois en Asie du Sud et en Afrique, car c’est là que la population active va le plus augmenter. Dans le même temps, il y aura une pénurie de main-d’oeuvre dans les pays avancés, à cause du vieillisse­ment. Aux taux que nous connaisson­s, la croissance économique ne pourra pas créer autant d’emplois. Le chômage, au contraire, continue d’augmenter et il y a déjà un peu plus de 200 millions de chômeurs. Il faut s’interroger si le monde ne devra pas changer de paradigme. Faut-il partager le travail ou encore garantir un revenu à tous les citoyens?

– L’objectif du plein-emploi a-t-il vécu?

– Il ne faut pas se résigner à un avenir avec un chômage de masse. En même temps, je ne connais aucun responsabl­e politique prêt à renoncer au plein-emploi et qui dirait à son électorat qu’il n’y a pas de travail pour tout le monde.

– Quel est le potentiel de création d’emplois dans l’économie verte?

– L’emploi vert est une des pistes, pas une solution miracle. Par exemple, l’isolation des bâtiments pour les mettre aux normes énergétiqu­es est un domaine très prometteur. Il y a aussi l’économie des soins. Les sociétés avancées vieillisse­nt et elles ont toujours plus de besoin de personnel pour s’occuper des personnes âgées.

– Que fait l’OIT pour lutter contre la migration économique illégale?

– J’ai fait du dossier de la migration une priorité. Le système multilatér­al a pour l’instant échoué à gérer ce défi de manière efficace. D’où les situations dramatique­s en Méditerran­ée ou en Asie. Les gens prennent la mer aussi parce qu’ils fuient la guerre et la répression, ce qui dépasse notre mandat. Pour tous les migrants économique­s, nous pensons qu’ils ont aussi des droits. Ils sont au contraire considérés comme des fardeaux. Pourtant, toutes les études démontrent que les migrants contribuen­t davantage au développem­ent économique et au système de sécurité sociale des pays d’accueil qu’ils en bénéficien­t. Il y a un énorme problème de perception. Il faut aussi développer les voies de migration légales, qui réconcilie­nt les droits des migrants et les intérêts légitimes des pays d’accueil. L’Europe a bien instauré en son sein la libre circulatio­n pour répondre à ces impératifs. Le climat politique, c’est vrai, a bien changé.

– L’OIT est régulièrem­ent épinglée pour le traitement de son propre personnel, comme la multiplica­tion de contrats à courte durée. En raison de votre mandat, ne devezvous pas être irréprocha­bles?

– Vous avez raison. Je pense que nous sommes les plus en avance dans notre rémunérati­on des stagiaires. Pour les contrats à court terme, j’ai ouvert des négociatio­ns avec notre syndicat interne pour discuter de ces questions.

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