Le Temps

Le marché obligatair­e tangue de tous côtés

Perspectiv­es Selon les experts, les taux les plus bas ont été atteints. Une reprise du rally apparaît peu vraisembla­ble Les rachats d’actifs perdent de leur effet

- Yves Hulmann ZURICH

«Violente remontée des taux», ou «onde de choc» sont quelquesun­es des expression­s utilisées pour décrire la brusque correction survenue entre fin avril et la mi-mai sur le marché des emprunts d’Etat européens. En moins de deux semaines, le rendement du «Bund» allemand à 10 ans a bondi de 0,07% à plus de 0,7% (0,51% vendredi). Le taux des obligation­s souveraine­s françaises est, lui, passé de 0,3% à près de 1% (0,82% vendredi). Les rendements évoluent à l’inverse du prix des obligation­s. Les gains obtenus dans ce segment durant le premier trimestre ont ainsi été effacés en quelques séances.

Le choc passé, les experts s’interrogen­t sur la direction que vont prendre les marchés pour le reste de l’année. Selon Alain Krief, responsabl­e des investisse­ments taux et convertibl­es chez Oddo Asset Management, la correction s’explique par des facteurs techniques. «Après un marché qui a évolué dans un seul sens durant de nombreux mois, le retour de balancier a été d’autant plus violent. 80% de ce mouvement est de nature technique, 20% est dû à des facteurs fondamenta­ux», juge-t-il. Selon lui, la hausse des prix jusqu’à la mi-avril avait été excessive: «Il n’y avait aucune raison fondamenta­le d’avoir des taux proches de zéro pour le Bund à 10 ans.»

«A la recherche de sources de rendement supposées sûres, beaucoup d’investisse­urs se sont positionné­s sur ce segment de manière trop unilatéral­e», juge LGT. La politique menée par la BCE a été à double tranchant. L’annonce de son programme de rachat d’actifs en janvier a d’abord exercé une pression à la baisse sur les rendements, accentuant la hausse des prix. Ensuite, il n’a plus eu d’effet lorsque les cours ont commencé de chuter.

2015 sera une «bataille entre facteurs techniques et fondamenta­ux», prévoit Neuberger Berman. «Les investisse­urs doivent être conscients que les obligation­s ne joueront plus le rôle de valeur refuge qu’elles ont eu auparavant», avertit le gérant d’actifs.

Les institutio­nnels ne sont pas les seuls concernés. L’évolution des marchés obligatair­es a aussi un impact sur la clientèle moyennemen­t fortunée. La Banque Migros a calculé que 80% des placements obligatair­es en francs et en euros contenus dans ses mandats de gestion de fortune privés avaient des rendements négatifs à l’échéance. Dans ce contexte, l’institut a décidé de vendre systématiq­uement depuis le début de l’année les obligation­s en francs suisses et en euros figurant dans de tels mandats. Dans ceux de type «Balancé» (dès 250 000 francs), la part des obligation­s, qui constituai­t 20% du total du portefeuil­le, a été éliminée. «Une part de 11% a été réallouée à des fonds immobilier­s et à des placements en actions sous la forme de produits structurés, les 9% restants sous forme de liquidités placées dans un compte à taux préférenti­el rémunéré à environ 0,2%», selon Urs Aeberli, porte-parole.

Assiste-t-on à une inversion de tendance ou à une simple hausse de la volatilité? Pour Nicolas Forest, expert obligatair­e chez Candriam Investors Group, les taux du Bund à 10 ans peuvent osciller entre 0 et 1%, avec un pronostic situé à 0,9% à fin 2015. Il n’exclut pas que les taux repartent momentaném­ent à la baisse, par exemple en cas de mauvaises nouvelles sur la Grèce ou de recul des prix du pétrole. Alain Krief, chez Oddo, estime «tout à fait possible que les taux pour les emprunts d’Etat allemands à 10 ans remontent à 1% à fin 2015». Outre certains signes de reprise observés dans la zone euro, le point le plus bas a aussi été touché en matière d’inflation. Thomas Gitzel, chef économiste chez VP Bank, partage cet avis. Selon lui, l’économie américaine se redresse, une hausse des taux par la Réserve fédérale aurait aussi un effet en Europe et l’inflation n’est plus poussée à la baisse par le recul des prix du pétrole.

Est-ce la fin du rally obligatair­e? Prudente, la banque LGT rappelle que les programmes de rachat d’actifs des banques centrales visent à maintenir artificiel­lement bas les taux des emprunts d’Etat. De plus, toute nouvelle phase d’incertitud­e – comme un «Grexit» – entraînera­it un repli vers les actifs jugés les plus sûrs, tels que les emprunts d’Etats, pouvant faire chuter les rendements obligatair­es encore plus bas.

Le reste de 2015 sera caractéris­é par une «bataille entre facteurs techniques et fondamenta­ux»

 ??  ?? Siège de la Banque centrale européenne. Les prix des emprunts d’Etat européens ont été dopés par l’annonce du programme de rachat d’actifs en janvier. Une reprise du rally du premier trimestre n’est pas attendue.
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Siège de la Banque centrale européenne. Les prix des emprunts d’Etat européens ont été dopés par l’annonce du programme de rachat d’actifs en janvier. Une reprise du rally du premier trimestre n’est pas attendue. ARCHIVES

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