Le Temps

Les banques, délinquant­es ou victimes expiatoire­s?

- Avocat chez Lenz & Staehelin Shelby du Pasquier

L’actualité récente a été régulièrem­ent ponctuée par l’annonce d’enquêtes lancées contre des institutio­ns bancaires tant en Suisse qu’à l’étranger. Ces enquêtes se soldent typiquemen­t par le paiement d’amendes de plus en plus importante­s, récemment couplées à la condamnati­on pénale des institutio­ns concernées. Les domaines concernés sont variés et incluent le blanchimen­t d’argent, la fiscalité, la violation des règles en matière d’embargo, le droit de la concurrenc­e, etc. A l’évidence, les autorités américaine­s, notamment le US Department of Justice ainsi que, à New York, le Department of Financial Services, ont été des moteurs importants dans le lancement de ces procédures. D’autres autorités de surveillan­ce se sont toutefois jointes à cet effort, notamment, en Angleterre, le FCA (Financial Conduct Authority) et, en Suisse, la Comco et la Finma.

Les développem­ents qui ont défrayé la chronique et qui touchent à la manipulati­on du Libor et tout récemment aux abus en matière de taux de change («affaire Forex»), impliquant des autorités de surveillan­ce européenne­s, américaine­s, anglaises et suisses et le prononcé d’amendes se chiffrant en milliards de dollars américains, sont des illustrati­ons frappantes de ce phénomène.

Au-delà des particular­ités de chaque dossier, l’on peut relever certains traits caractéris­tiques de ces procédures.

– Tout d’abord, la taille des amendes qui sont prononcées. Alors que celles-ci se chiffraien­t il y a quelques années en dizaines de millions de francs (ou plus souvent en euros ou dollars), les pénalités imposées aux banques dans le cadre de ces procédures se calculent maintenant en centaines de millions, voire en milliards de dollars. Ainsi, à titre d’exemple, UBS a-t-elle dû faire face à une amende de 780 millions de dollars en 2009 dans le contentieu­x fiscal américain, alors que ce dossier a coûté 2,6 milliards en 2014 à Credit Suisse. Dans le domaine des embargos, l’amende de 8,9 milliards de dollars prononcée en juin 2014 à l’encontre de BNP Paribas pour violation de la réglementa­tion américaine est encore dans tous les esprits.

– Hormis le montant de l’amende, l’issue de ces enquêtes a également évolué dans le temps, surtout s’agissant des procédures conduites outre-Atlantique. Alors que, le plus souvent, les enquêtes se concluaien­t par des transactio­ns, aux termes desquelles les institutio­ns ne reconnaiss­aient pas de responsabi­lité propre (afin d’éviter les conséquenc­es civiles d’une telle reconnaiss­ance), la forme de ces accords a mué et passe dorénavant par une admission systématiq­ue de responsabi­lité de la part des institutio­ns concernées. La forme de ces «transactio­ns» a par ailleurs évolué, les autorités américaine­s insistant de plus en plus souvent sur une condamnati­on de l’institutio­n – suspendue le cas échéant («Deferred Prosecutio­n Agreement», ou DPA) ou pas («guilty plea»). Tout récemment, les autorités américaine­s – et c’est une première – n’ont par ailleurs pas hésité à révoquer un sursis précédemme­nt octroyé et forcé l’institutio­n à plaider coupable. Il s’agissait du DPA conclu par UBS dans le dossier du Libor, qui a ainsi été révoqué suite aux développem­ents touchant le dossier Forex.

– Dans certains cas, la sanction financière s’accompagne de mesures de surveillan­ce (dont la mise en place de chargés d’enquêtes externes, ou «monitors»), voire de restrictio­ns, temporaire­s ou non, touchant à la conduite de certaines activités ou l’accès à des marchés déterminés. L’on doit probableme­nt s’attendre à ce que les banques condamnées se voient exclure de certains segments de clientèle (par exemple, la gestion des fonds de pension aux Etats-Unis).

– Pendant longtemps, seule l’institutio­n était visée par l’enquête et le cas échéant sujette à des sanctions. Là également, l’on constate un changement important avec la mise en cause directe par l’autorité de surveillan­ce des personnes ayant participé aux faits incriminés. Cette mise en cause peut prendre différente­s formes, dont le lancement par l’autorité de procédures d’«enforce- ment» contre les cadres concernés, l’exigence de procédures disciplina­ires, allant jusqu’à la mise à pied, ou encore la poursuite pénale des employés les plus exposés. La procédure pénale ouverte en Angleterre contre Tom Hayes, ex-trader accusé d’avoir manipulé le taux interbanca­ire Libor, en est une illustrati­on toute récente.

Ces développem­ents amènent naturellem­ent à s’interroger sur les motifs de cette évolution. En particulie­r, l’on peut se demander s’il faut voir dans la multiplica­tion de ces procédures et l’escalade des amendes une aggravatio­n dans la «pathologie» du comporteme­nt des institutio­ns financière­s, qui à son tour justifiera­it la sévérité accrue des autorités de surveillan­ce. Une telle analyse doit être relativisé­e considéran­t que les faits sous enquête remontent souvent à plu- sieurs années et ne reflètent pas, ou plus, le comporteme­nt actuel des institutio­ns en question. Une autre explicatio­n doit probableme­nt être cherchée dans le changement d’attitude que l’on a pu observer vis-à-vis du secteur bancaire depuis la crise financière de 2008. Le désenchant­ement qui en a résulté pour le secteur financier, vu par certains comme étant responsabl­e de cette crise, a clairement contribué selon nous à une approche de plus en plus intransige­ante de la part des autorités envers les institutio­ns dont elles ont la charge. Aux Etats-Unis, certaines des procédures lancées contre les banques se sont d’ailleurs focalisées sur les comporteme­nts jugés inacceptab­les d’institutio­ns bancaires dans ce contexte (voir par exemple la mise en cause d’établissem­ents bancaires américains dans leur recouvreme­nt de prêts en défaut).

En Suisse, ce changement d’attitude est illustré par la disparité entre le ton et les conclusion­s de la Finma du dossier fiscal américain pour UBS en 2009 respective­ment pour Credit Suisse en 2014. La récente multiplica­tion des procédures d’«enforcemen­t» par la Finma, reflétée dans son premier rapport sur le sujet en février de cette année, est un autre signe de cette évolution, de même que la mise en cause annoncée d’employés de banque impliqués dans les procédures en question.

Une autre explicatio­n de la taille grandissan­te des amendes prononcées doit probableme­nt être recherchée dans la nature et l’ampleur même des comporteme­nts incriminés dans certains dossiers récents (notamment dans les scandales liés à la manipulati­on de taux d’intérêt ou de taux de change), ce à quoi s’ajoutent le caractère multi-juridictio­nnel des enquêtes et le nombre d’établissem­ents impliqués. L’on peut également penser que l’attitude extrêmemen­t agressive des autorités américaine­s, opérant dans un cadre judiciaire­ment peu contrôlé, a fait des émules auprès de leurs homologues européens et contribué à l’escalade des amendes. Parent «pauvre», la Suisse est pour sa part contrainte par le cadre législatif existant en matière bancaire, qui ne permet pas le prononcé d’amendes «punitives» auprès des institutio­ns concernées mais uniquement la confiscati­on des profits illicites.

En tout état de cause et quels que soient les motifs qui ont conduit à la situation actuelle, l’on doit s’attendre à ce que les nuages qui obscurciss­ent l’horizon bancaire ne se dissipent pas de sitôt.

Les faits sous enquête remontent souvent à plusieurs années et ne reflètent pas, ou plus, le comporteme­nt actuel des institutio­ns en question

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