«La finance peine à parler aux gens»
Fabrizio Quirighetti est le chef des investissements à la banque Syz Son but? Décloisonner la finance
Adrià Budry Carbó
«Si vous m’avez compris, c’est que je me suis bien exprimé.» Fabrizio Quirighetti commence par prendre Alan Greenspan à contre-pied, avant de filer quelques métaphores footballistiques pour expliquer son rôle de chef des investissements. Contrairement à l’ancien chef de la Réserve fédérale américaine, le chroniqueur financier a le goût du parler simple et un certain sens de la vulgarisation qui ont fait de ce bavard un bon client pour les médias.
«Le monde de la finance est infesté de jargon et les économistes peinent à parler à des gens qui ne sont pas au même niveau de con- naissances. C’est pourtant notre rôle d’expliquer à un public plus large ce qu’il se passe sur les marchés.» Issu d’une famille ouvrière italienne, installée à Genève après la guerre, Fabrizio Quirighetti, marié, père de trois enfants, a commencé à s’intéresser à l’économie parce qu’on «en trouve un peu partout» et puis parce que la discipline mélange chiffres et sciences sociales.
Une ouverture disciplinaire qui l’a poussé à effectuer son cursus universitaire d’une traite avant de se lancer dans un doctorat. Il devient alors assistant d’économétrie et de statistiques, un poste qu’il occupe pendant six ans. S’il aime enseigner, il avoue ne jamais avoir trouvé son compte dans le monde académique. «Je suis plutôt un généraliste. J’aime débroussailler des problématiques et voir comment on peut les résoudre. A l’université, j’avais l’impression de passer trop de temps sur une donnée sans pouvoir me pencher sur ce qu’elle représente réellement.»
Le saut dans le privé s’effectue, selon son propre aveu, un peu par hasard. En 1999, la banque Syz, fondée trois ans plus tôt, cherchait un consultant. «Il y avait à peine 50 employés et ils avaient besoin de quelqu’un pour faire des modèles de prévisions économiques. Ils ont demandé aux assistants un par un et, comme ils ont tous décliné, c’est sur moi que c’est tombé», évoque-t-il dans un sourire. C’est le déclic. L’ascension se poursuit dans la douceur et il obtient un poste fixe en 2002.
Son mentor, Paolo Luban, cofondateur de la banque Syz, lui voue une confiance absolue. «J’étais dans une position de confort. Il mettait
Fabrizio Quirighetti: toujours en avant mes réussites et assumait seul la responsabilité de mes échecs. Au début, je faisais des modèles de prévision de croissance ou du taux d’inflation, mais je n’avais aucune idée de ce que la banque en faisait. C’est Paolo qui m’a guidé dans mon apprentissage des mécanismes des marchés financiers. Il m’a conseillé des lectures et m’a ensuite donné quelques fonds à gérer pour me faire la main.»
Depuis l’an dernier, et le retrait de Paolo Luban de la banque Syz, Fabrizio Quirighetti est devenu chef des investissements et responsable de la gestion multi-actifs au sein de l’asset management. Une double casquette qu’il vit comme une bouffée d’air frais. Il alterne en effet la gestion de certains fonds diversifiés avec une réflexion stratégique sur les placements. «Je suis présent à plusieurs échelons et je m’efforce de toujours rester dans le dialogue afin d’expliquer mes choix d’investissement. La transition a été bien gérée. Les gens me font confiance. Je suis ici comme à la maison.»
Une maison où il a aussi vécu des moments difficiles. La crise des «subprime» de 2008 est venue effondrer certaines certitudes. Fabrizio Quirighetti avoue avoir été dépassé par les sommes en jeu derrière les hypothèques. «On n’a rien vu venir. Les banques ne se prêtaient plus. J’ai cru que tout le système allait s’effondrer. A un moment donné, j’ai même demandé à ma femme de faire des provisions.» Le banquier se lève tous les matins la boule au ventre pour aller vendre des titres à perte. Ses pires souvenirs dans le monde de la finance. «On a dû s’amputer. Pourtant, on avait vu passer une note de huit pages de John Paulson qui prédisait exactement ce qui allait se passer, l’éclatement de la bulle immobilière. Nous avons été trop arrogants.»
Durant la crise, Fabrizio Quirighetti continue à fréquenter des gens éloignés du monde de la finance. L’incrédulité de ses camarades de foot le surprend mais lui permet de prendre du recul. «Eux continuaient à aller acheter leur baguette de pain à la boulangerie. Ils n’avaient qu’un lointain rapport à tout ça. Cela m’a aidé à garder les pieds sur terre. Le grand problème dans la finance, c’est le cloisonnement. Il ne faut jamais s’enfermer dans une vision. Il faut chercher les avis contraires. Rester curieux.»
Sepp Blatter n’est pas devenu une insulte non… mais presque. Il conviendra de scruter les prochaines versions du Petit Robert. Une chose est sûre néanmoins, le super-patron de la FIFA focalise sur lui toutes les haines de la planète, et pas seulement celle du ballon rond, depuis la semaine dernière. Un peu comme les patrons des grandes banques suisses en leur temps.
Le plus drôle dans cette affaire, parce qu’il faut bien rire de tout, c’est que le tacle dont il a été victime – et qu’il avait bien cherché par ailleurs – est venu du même endroit que celui qui a rappelé à l’ordre nos chers banquiers un jour de septembre 2007 lorsque éclata l’affaire UBS. C’est-à-dire de l’Ouest. Du Far West même.
L’histoire ne dit pas (encore?) si les «cow-boys» impliqués sont des gentils ou non. Des mauvaises langues murmurent même qu’ils auraient agi de la sorte pour se venger des Russes «coupables» de leur avoir soufflé
«Pourtant, on avait vu passer une note de John Paulson qui prédisait exactement ce qui allait se passer»