«Les entreprises pharma devront cofinancer les traitements les plus chers»
Santé Un paiement échelonné des médicaments va devenir impératif C’est l’unique moyen de garantir l’égalité des soins, avance Patrick Flochel, d’Ernst & Young
Patrick Flochel, responsable global du secteur pharmaceutique pour Ernst & Young (EY), évoque les nouvelles tendances de cette industrie, alors que les accords de collaboration et les opérations de fusions-acquisitions ont atteint un record depuis le début de l’année.
Le Temps: Les accords passés entre entreprises pharma, depuis le mois de janvier, ont atteint 460 milliards de dollars, un niveau historique sur une si courte période. Comment l’expliquez-vous? Patrick Flochel: Les grands groupes ne poursuivent plus, comme beaucoup l’avaient fait ces dernières années, une stratégie de diversification de leurs aires thérapeutiques ou de leurs gammes de produits. Ils recherchent
aujourd’hui, au contraire, une forte spécialisation afin de figurer dans le club des deux à trois meilleurs dans leur catégorie. C’est l’un des principaux facteurs qui explique cette frénésie d’accords.
– Celui d’avril 2014 entre Novartis, GlaxoSmithKline et Eli Lilly, qui a permis à l’entreprise suisse de se renforcer en oncologie, était-il précurseur de cette tendance?
– Elle avait déjà commencé un peu avant par des cessions de portefeuilles de grands groupes dans la médecine vétérinaire ou les médicaments vendus sans ordonnance. Ce mouvement de spécialisation s’explique par la pression sur les prix exercée par les organismes payeurs, assurances maladie ou systèmes de sécurité sociale.
– C’est-à-dire?
– Pour pouvoir obtenir le meilleur prix de vente de leurs nouveaux médicaments, dans une bataille concurrentielle qui est devenue féroce, les pharmas doivent désormais apporter la preuve d’un gain thérapeutique important qui justifie un prix plus élevé. Par la spécialisation accrue, suite à une modification de leur portefeuille de produits, les pharmas parviennent à rassembler les meilleurs scientifiques d’un domaine pour accélérer la recherche et amener sur le marché des produits d’un excellent rapport qualité-prix. Ces médicaments sont alors capables d’emporter l’adhésion des organismes payeurs.
– Peut-on vraiment parler de pression sur les prix, alors qu’ils ont augmenté globalement de 12,5% aux Etats-Unis au cours du premier trimestre 2015, et de 12% l’an dernier dans le seul domaine de l’oncologie?
– Il faut distinguer le prix public de celui réellement payé par les organismes payeurs, qui peuvent parfois obtenir des rabais allant jusqu’à 50%. Les hausses sont aussi dues à l’arrivée sur le marché de médicaments qui, pour la première fois, peuvent soigner l’hépatite C, maladie jusqu’alors chronique. Ces traitements, onéreux, coûtent plus de 90 000 dollars par patient. Ce prix élevé n’est pas contesté parce qu’au final, les coûts de la santé diminuent. Guérir l’hépatite C en quelques mois signifie en effet éviter les coûts opératoires de greffes de rein et la prise de médicaments durant, parfois, des dizaines d’années. Mais cela pose un gros problème en termes de prise en charge financière des malades.
– Lequel?
– S’il fallait prescrire immédiatement ces médicaments à tous les patients souffrant d’hépatite C, cela mettrait en péril l’économie de nombreux pays car leur coût global n’est pas supportable par les pouvoirs publics et les assurances, y compris en Europe ou aux Etats-Unis. Aujourd’hui, les patients sont donc sélectionnés selon l’état de gravité de la maladie, mais il faut absolument trouver de nouvelles solutions de financement afin d’éviter de tomber dans un système généralisé de médecine à deux vitesses.
– A quoi pensez-vous?
– A un système de paiement échelonné du médicament. Globalement et à moyen terme, la nouvelle thérapie contre l’hépatite C permet de réaliser des économies dans le système de santé. Mais à court terme, elle est impossible à financer pour tous. Il suffirait donc d’échelonner le paiement du médicament sur quatre ou cinq ans.
– Les entreprises pharmaceutiques devraient faire crédit durant plusieurs années aux hôpitaux?
– Oui. J’imagine que les pharmas devront cofinancer certains traitements chers. Un intermédiaire financier, comme une assurance, pourrait aussi le faire. Ces modèles n’existent pas encore, mais je pense qu’on sera obligé d’aller dans cette direction pour garantir l’égalité des soins dans les pays développés.
– D’autres modèles sont-ils à l’étude?
– En oncologie, il est de plus en plus souvent nécessaire de fournir un traitement combiné de plusieurs médicaments alors que la prescription de chacun d’entre eux coûte des dizaines de milliers de dollars. Certains groupes pharmaceutiques veulent engager une discussion, au cours du congrès spécialisé qui se déroule en ce moment à Chicago, autour d’un paiement forfaitaire par thérapie. Dans ce contexte, le mouvement de spécialisation de l’industrie pharmaceutique prend tout son sens puisqu’il peut permettre à une seule entreprise de vendre, sur la base de son portefeuille de produits, une thérapie complète adaptée sur la durée totale de la maladie à travers son évolution.