Les clés de la survie
La Suisse est-elle en train de s’inventer un nouveau mensonge? Pendant des décennies, elle s’est bercée de l’illusion selon laquelle le secret bancaire n’était pas un moyen d’attirer l’évasion fiscale étrangère. Aujourd’hui, une petite musique venue de Berne et de certaines associations professionnelles prétend que sa disparition n’aurait même pas égratigné la place financière – voire lui aurait fait du bien.
La réalité est autre. L’enquête que nous publions aujourd’hui le montre: la fin du secret bancaire commence à faire mal, très mal parfois, aux gestionnaires de fortune helvétiques. Des banques privées ferment ou sont dépecées lors de leur rachat, avec des dizaines de licenciements à la clé. Les rémunérations, autrefois mirifiques, baissent.
Certes, il est difficile de s’émouvoir en pensant qu’un gérant qui gagnait 400000 ou 500000 francs n’en reçoit plus que la moitié. Mais les Suisses ordinaires auraient tort de se réjouir du malheur de leurs voisins banquiers. Comme le note l’ancien ministre des Finances genevois David Hiler, le système fiscal helvétique repose largement sur les 10 à 15% de revenus les plus élevés. Tout affaissement en haut de l’échelle salariale équivaut à une perte brutale de recettes pour les collectivités publiques.
Voilà pour le constat. Quelles sont les perspectives? La gestion de fortune privée a-t-elle un avenir en Suisse? Les plus pessimistes en doutent. Pour les autres, les clés de la survie seront la maîtrise des nouvelles technologies bancaires (fintech), la capacité d’être moins cher, plus performant, et la volonté d’offrir un service réellement personnalisé au client – ce que beaucoup de banques privées, curieusement, ne font pas aujourd’hui.
Un autre facteur apparaît vital: l’accès au marché européen des services financiers. Les banquiers suisses n’ont pas le droit de voyager en Europe pour trouver de nouveaux clients. A l’époque du secret bancaire, cet isolement se justifiait par le besoin de préserver un îlot de noncoopération fiscale. A l’ère de l’échange d’informations, il est absurde et dommageable.
Un homme a désormais pour mission d’ouvrir le marché européen aux banques suisses: Ueli Maurer, ministre des Finances UDC. A lui de négocier avec Bruxelles pour obtenir la libre circulation des gérants helvétiques. On ne l’a guère connu comme un diplomate inspiré, mais la survie de la place financière est aujourd’hui entre ses mains.
Les Suisses auraient tort de se réjouir du malheur des banquiers