Le Temps

Marie-Christine Rey, au chevet des enfants frappés par le deuil

La psychomotr­icienne carougeois­e a cofondé l’associatio­n Resiliam, qui soutient les familles en souffrance. Avec une attention particuliè­rement portée sur l’enfance frappée par le deuil

- CHRISTIAN LECOMTE

«Il faut dire la vérité, qui préserve la confiance entre les enfants et les adultes»

C’est une petite salle de jeux. Ici et là des Playmobil, un mini-trampoline, des tapis, des coussins et cette représenta­tion miniaturis­ée d’un hôpital avec médecins, infirmière­s, lits, bloc opératoire, chariot de soins. Il s’agit en fait d’une salle de thérapie pour enfants reçus individuel­lement ou en groupes. Rue de la Fontenette à Carouge, l’associatio­n Resiliam prend soin depuis 2012 des familles en souffrance, confrontée­s à la maladie, au handicap ou endeuillée­s.

« L’idée est d’intervenir sept jours sur sept, souvent dans l’urgence, afin de prévenir ou atténuer les séquelles d’un traumatism­e», résume Marie-Christine Rey. La psychomotr­icienne a imaginé Resiliam avec Marie-Dominique King, une infirmière spécialisé­e en oncologie et soins palliatifs. Le binôme a déjà rencontré 64 familles et 138 enfants. «A l’hôpital, médecins et infirmière­s font le pont entre ces familles et nous. Quand un parent est très malade et peut mourir, ils demandent: souhaitez-vous que ces dames vous appellent? Nous pouvons l eur donner votre numéro. Dans 90% des cas, les gens disent oui. Et nous nous déplaçons, rapidement et gratuiteme­nt, dans les services ou au domicile», relate Marie-Christine.

«Poupées soucis»

La psychomotr­icienne poursuit: «L’important est de maintenir la communicat­ion et faire circuler la parole dans les foyers, car se réfugier dans le silence et le déni tient lieu de protection illusoire. Il faut dire la vérité, qui préserve la confiance entre les enfants et les adultes.» Elle évoque le cas récent de Luka*, 5 ans, dont la maman souffre d’un cancer. Luka est devenu très colérique, se cache sous le canapé, à l’école les points verts sont passés au rouge. La maman raconte à Marie-Christine qu’elle n’a pas donné de détails sur sa maladie à son fils. «Il faut alors vite signifier à l’enfant qu’il n’est pas le responsabl­e de la maladie parce que beaucoup pensent que c’est de leur faute. Les parents ne disent- i l s pas souvent à l eur enfant: tu me fatigues ou tu me rends malade? Il faut chasser la culpabilit­é puis donner des informatio­ns justes et précises sur la maladie pour diminuer l’agressivit­é. Nous avons regardé un livre sur le corps humain et la maman a montré le colon et a dit à Luka: c’est ici que j’ai mal.»

La thérapie psychomotr­ice qui mêle le corps et le psychisme est indiquée pour l’enfant présentant des troubles du comporteme­nt, l ’enfant hyperactif, anxieux, autiste, dyspraxiqu­e. Les psychomotr­iciens aiment à user d’objets qui vont jouer un rôle capital dans la relation entre l’enfant et le parent absent ou disparu. «Le jeu à travers ces objets est au coeur de notre métier. J’ai présenté à Luka ce que l’on appelle des attrapeurs de rêves et des poupées soucis à qui il peut se confier avant de dormir. Il y a aussi les peluches, le bébé peluche va avec la maman à l’hôpital, la maman peluche reste avec l’enfant», précise Marie-Christine Rey.

Elle fut longtemps enseignant­e à l’école de psychomotr­icité de Genève qui prépare à un bachelor, a exercé également en cabinet privé et s’en est allée à deux reprises j usqu’en Algérie se confronter au vécu des thérapeute­s locaux. «Terre des hommes soutenait sur place au début des années 2000 des associatio­ns aidant les familles victimes du terrorisme, raconte-t-elle. Une psychomotr­icienne genevoise gérait le programme. Il y avait une charge émotionnel­le très forte face à l’engagement magnifique de ces psychologu­es, médecins et éducateurs. Pour beaucoup, c’était leur première formation depuis des années à cause des violences. Ils me disaient qu’ils étaient affamés d’apprendre.» Elle se retrouve à Sidi Moussa, à 25 km au sud d’Alger, où le 28 août 1997 un massacre à grande échelle (200 morts) fut commis par les groupes islamistes armés. Venue soutenir et conseiller ces profession­nels, elle apprend beaucoup à leurs côtés, notamment sur la gestion du deuil, la présence de l’enfant lors de la nuit de veille de la dépouille, lors des repas, des prières, des funéraille­s.

Avec Resiliam, Marie-Christine Rey et Marie-Dominique King insistent sur le fait qu’éloigner l’enfant lorsque la mort frappe un parent n’est pas le protéger. «Parce qu’oublier le parent est l’une des plus grandes peurs des enfants en deuil. Il est important donc, selon leur désir, qu’ils participen­t aux obsèques», explique la psychomotr­icienne. Resiliam permet également aux enfants de maintenir un lien vivant avec la personne décédée avec là aussi un objet essentiel: l a boîte mémoire. Marie-Christine Rey: «Elle est utilisée durant la maladie ou après la mort. Elle transmet les souvenirs des moments les plus précieux, des photos de famille, des dessins, des coquillage­s. C’est un recueil d’histoires qui permet de parler du parent décédé. Plus les enfants sont jeunes, plus la boîte mémoire doit être remplie rapidement après la mort, car leur expérience du temps et leur capacité à se souvenir sont différente­s de celles de l’adulte.»

Importance des souvenirs

Retour à l’histoire de Luka. La maman est morte. Il ne l’a pas vue après le décès, n’a pas participé à la première cérémonie d’adieu. Marie-Christine Rey dit au papa et à la famille qu’il est difficile pour l’enfant de comprendre que sa maman ne reviendra plus et qu’il est important qu’il participe à la seconde cérémonie. «Il faut expliquer à l’enfant comment cela se passe, le faire participer en allant avec lui cueillir des fleurs ou acheter des bougies», conseillet-elle. Et puis un jour, plus tard, la boîte mémoire a été sortie. Luka s’en est approché très lentement. La psychomotr­icienne lui a rappelé l’importance des souvenirs. Ils ont cherché tous deux une photo, la plus belle, lui et ses parents. La boîte a été décorée avec des autocollan­ts. Luka a composé son prénom puis celui de sa maman et de son papa avec des lettres argentées, il a décoré la boîte avec des coeurs. Puis s’est éloigné et est allé jouer avec ses tracteurs. Marie-Christine Rey: «C’en était assez pour lui à ce moment-là et le papa a été rassuré de voir que son fils savait dire quand il en avait assez de quelque chose.»

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