Syrie: les négociations hoquettent
Tandis que les discussions s’embourbaient au Palais des Nations, les développements militaires sont allés bon train
PROCHE-ORIENT L’émissaire de l’ONU, Staffan de Mistura, a décidé mercredi d’une pause temporaire dans les discussions sur la Syrie, jusqu’au 25 février. «Ce n’est pas la fin, ce n’est pas un échec des pourparlers», a-t-il indiqué devant la presse à Genève. Pendant ce temps, sur le terrain syrien, les développements militaires sont allés bon train, avec une percée de l’armée du régime dans le nord du pays, vers la frontière turque.
Les pourparlers de Genève sur la Syrie ont atteint leur objectif! Pour la Russie et son protégé syrien, il s’agissait de faire diversion tandis que les vraies batailles se déroulaient ailleurs. C’est fait: au terme de trois journées de bombardements russes ininterrompus, les f orces nationales s yriennes (pro-gouvernementales) ont réussi ce qu’elles cherchaient à accomplir depuis plus de trois ans. Il ne restait plus aux participants de Genève qu’à… faire leurs valises.
Dans le nord de la ville d’Alep, à proximité de la frontière turque, la progression de l’armée syrienne a été fulgurante. Elle lui aura permis de rejoindre les deux derniers postes retranchés qu’elle maintenait dans cette partie du pays. Nebbol et Zahra: deux anciens villages chiites, désertés par leurs habitants, mais dans lesquels étaient massés plusieurs milliers de soldats assiégés par les forces rebelles. Cette jonction faite, la suite coulait de source: l’armée syrienne recomposée a tôt fait de s’emparer de la dernière route qui relie Alep à la Turquie. Privée de ce cordon ombilical, et donc de tout acheminement futur de vivres ou d’armes, la grande ville du nord risque désormais de tomber comme un fruit mûr dans les mains du président Bachar el-Assad.
Les Etats-Unis n’ont pas bougé le petit doigt
«Le soutien de la Russie à Damas ne s’est pas traduit ces derniers mois par une prise de territoire considérable, je dirais au plus 700 kilomètres carrés. Mais chacune de ces avancées est hautement significative. Et l’encerclement d’Alep n’est pas la moindre», note Fabrice Balanche, maître de conférences à l’Université Lyon 2.
Hormis son importance militaire, cette percée obtenue au terme de quelque 400 frappes aériennes russes est surtout significative par le fait qu’elle a parfaitement coïncidé avec le redémarrage des discussions diplomatiques. Au même titre que les autres grandes puissances, la Russie s’était engagée dans la réso- lution 2254 du Conseil de sécurité de l’ONU à «exiger aux parties» qu’elles mettent fin aux « tirs d’obus» et aux «bombardements aériens». C’est ce que réclamait d’entrée l’opposition à Genève. Mais cette disposition ne concerne pas les actions menées contre «les groupes terroristes». Et c’est dans cette optique que Moscou a non seulement justifié ses opérations, mais promis en outre qu’il n’y mettrait pas fin de sitôt.
Cette situation a mis dans une position intenable une opposition syrienne faite de bric et de broc. A tel point que les combattants rebelles sur le terrain en sont venus à poser ce qui s’apparente à un ultimatum aux responsables politiques censés les représenter, afin qu’ils mettent un terme à ces palabres inutiles. Le camouflet est d’autant plus cinglant pour l’opposition que les Etats-Unis n’ont pas bougé le petit doigt tandis que les négociations de Genève plongeaient dans l’absurde.
La moisson de Genève ne se résume pas au bouleversement autour d’Alep. Les combattants syriens kurdes, qui ont réussi à conquérir un territoire proche, ont décidé eux aussi de passer à l’attaque. Mercredi, ils annonçaient ainsi qu’ils étaient décidés à traverser l’Euphrate et à conquérir Jarabulus, Manbij et même la petite ville d’Azaz, dans la province d’Alep. Les Kurdes ont été interdits de présence aux pourparl ers de Genève. A chacun sa revanche.
Ces développements militaires ne sont pas seulement une catastrophe pour l’opposition syrienne représentée à Genève, mais aussi pour la Turquie (ennemie des Kurdes) et pour l’Arabie saoudite, qui avait fait le poing dans la poche et réuni sous son autorité cette opposition disparate. «Je m’attends à ce que ces puissances régionales réagissent rapidement, souligne Fabrice Balanche. Soit en délivrant des armes plus perfectionnées aux groupes rebelles, y compris aux djihadistes, soit en exportant la guerre ailleurs, peutêtre au Liban.»
En attendant, Russes et fantassins alliés aux troupes syriennes (Iraniens, Libanais du Hezbollah, etc.) n’entendent sans doute pas s’arrêter en si bon chemin. En ce moment même, ils amassent leurs forces à proximité de Palmyre, et de ses trésors saccagés par l’Etat islamique.