Le Temps

ChemChina, un groupe d’Etat, mais aussi un «one-man-show»

Entreprene­ur et cadre du Parti communiste, Ren Jianxin a créé le congloméra­t public ChemChina à coups d’acquisitio­ns

- FRÉDÉRIC LELIÈVRE, HONGKONG

«Il ne s’agit plus de prendre le contrôle d’une société parmi d’autres. Ils s’attaquent au monde» ALAIN SEPULCHRE, CONSULTANT EN ASIE POUR LE BOSTON CONSULTING GROUP

Les analystes de HSBC ont dressé la liste des superlatif­s de cette opération à 43,3 milliards de francs. ChemChina, entreprise d’Etat chinoise, vient d’annoncer le plus grand rachat de l’industrie chimique dans le monde, le plus grand mené par une société chinoise à l’étranger, le plus grand jamais réalisé en Suisse, le plus important payé comptant en Europe… En 1984 pourtant, comme le dit la légende, Ren Jianxin, son président, créait Bluestar avec un simple prêt de 10 000 yuans (quelque 1500 francs). Il avait 26 ans et la société nettoyait les bouilloire­s à thé.

«Ren Jianxin est effectivem­ent parti de rien et a monté cette boîte avec des appuis locaux, puis nationaux», rappelle Alain Sepulchre, consultant en Asie pour le Boston Consulting Group et coauteur de L’Offensive chinoise en Europe (Ed. Fayard), sorti l’an dernier. L’acquisitio­n de Syngenta confirme l’appétit des groupes de l’Empire du Milieu. Dealogic estime qu’ils ont dépensé à l’étranger 22 milliards de dollars en janvier. L’année n’avait jamais commencé aussi fort.

Plus puissant que Jack Ma

ChemChina alimente souvent cette actualité. Le mois dernier, il a mis la main sur le groupe allemand de machines KraussMaff­ei, pour 925 millions d’euros (1,03 milliard de francs), et est entré au capital du négociant genevois de matières premières Mercuria. L’an dernier, l’italien Pirelli a été absorbé, pour près de 8 milliards de dollars (8,06 milliards de francs). Ren Jiaxin est moins connu que Wang Jianlin (Wanda) ou Jack Ma ( Alibaba), mais lui seul figure au classement de Fortune des 500 plus grandes entreprise­s, au 265e rang.

Appelé officielle­ment China National Chemical, ChemChina a été formelleme­nt créée en 2004, regroupant divers actifs, dont Bluestar, jusqu’ici placés sous l’autorité du Ministère de l ’ i ndustrie chimique. Ren Jianxin était à la manoeuvre, comme entreprene­ur et cadre du Parti communiste, dont il n’a cessé de gravir les échelons. Etabli à Pékin, le congloméra­t raffine du pétrole, produit du caoutchouc et des équipement­s chimiques. Son site internet indique qu’il emploie 140 000 personnes, dont 48 000 hors de Chine. Et revendique 45 milliards de dollars de ventes en 2015, mais ne publie pas ses états financiers. Selon Bloom- berg, sa dette s’élèverait à 156,5 milliards de yuans (24 milliards de francs), soit plus de cinq fois ses liquidités. Le troisième trimestre de l’an passé aurait produit une perte de 136 millions de francs. Mercredi, ChemChina a toutefois annoncé que le financemen­t du rachat de Syngenta tenait.

Intervient alors la dimension politique d’une opération qui répond aux besoins de la Chine pour mieux alimenter sa population. ChemChina fait partie des 117 «champions nationaux», supervisés par la Sasac, la commission rattachée à Pékin et chargée de moderniser l’appareil industriel chinois. Des champions qui peuvent bénéficier de l’appui des banques publiques que d’aucuns jugent illimité.

Car «avec cette transactio­n, ChemChina change de dimension, décrypte Alain Sepulchre. Il ne s’agit plus de prendre le contrôle d’une société parmi d’autres. Ils s’attaquent au monde.» Dans cette opération, «il y a donc forcément la patte de Pékin», poursuit Alain Sepulchre, qui craint que Ren Jianxin «ne soit pas équipé pour faire face et ait eu l es yeux plus grands que le ventre». D’autant que son groupe, «c’est un oneman- show, et donc une faiblesse. Car un jour, i l sera amené à passer la main.»

Les dirigeants de Syngenta devraient rester en place

Voilà qui plaide en faveur du maintien de l’équipe dirigeante et du siège de Syngenta à Bâle. Comme ChemChina l’a d’ailleurs fait dans la plupart de ses précédente­s acquisitio­ns. Même la France s’en félicite. En 2006, ChemChina y réalisait pourtant sa première acquisitio­n, en prenant le contrôle du spécialist­e de la nutrition animale Adisseo, toujours dirigée par des Français. Cinq ans plus tard, Ren Jianxin était fait officier de la Légion d’honneur par Nicolas Sarkozy, alors président de la République, pour avoir renforcé le développem­ent économique sino-français.

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