Le Temps

Anita Brookner, la voix des inadaptés

Née à Londres en 1928, la romancière laisse une oeuvre intimiste et mélancoliq­ue, dont «Hôtel du lac» est le roman le plus célèbre

- ANDRÉ CLAVEL

«Un grand auteur. Son roman Hôtel du lac est selon moi un des meilleurs lauréats du Booker Prize.» C’est par ce tweet que Jonathan Coe a salué sa compatriot­e Anita Brookner, décédée dans son sommeil à 88 ans. Née à Londres en 1928 dans une famille juive non pratiquant­e, elle était la fille d’immigrés polonais qui, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, avaient accueilli sous leur toit de nombreux juifs fuyant l’Allemagne nazie.

C’est par l ’ histoire de l ’a rt qu’Anita Brookner s’est f ait connaître outre-Manche – elle a publié des ouvrages sur Greuze et David – puis elle a attendu de passer la cinquantai­ne pour se frotter au roman. «Ma propre vie était décevante. C’est le besoin d’y voir plus clair qui m’a amenée à écrire», a dit celle qui, après la parution de son premier roman en 1981, n’allait plus lâcher la plume, publiant un titre par an. Traduite en France aux Editions de La Découverte puis chez Belfond et au Seuil, Anita Brookner laisse une oeuvre très intimiste, mélancoliq­ue, chevillée à une époque où ses personnage­s trouvent rarement leur place. Inadaptés à la société, ils appartienn­ent pour la plupart à une petite bourgeoisi­e effacée, en mal de reconnaiss­ance.

Et c’est souvent vers les femmes de ce milieu que la romancière tournait son regard: des intellectu­elles accaparées par leur travail, des solitaires perdues derrière les tentures de leurs appartemen­ts silencieux, des célibatair­es veillant sur leurs vieux parents, des filles qui ont peur de se mesurer à la réalité, toujours cruelle et décevante.

«J’ai appris à ne pas m’appuyer sur le monde parce que je sais que l e monde gagnera toujours » , disait Anita Brookner, dont le livre le plus célèbre reste Hôtel du lac – Booker Prize en 1984 –, histoire d’une romancière qui s’est retirée dans un hôtel cossu, au bord du Léman, pour fuir une Angleterre où elle étouffe. Ce qu’elle raconte, avec une lucidité désenchant­ée, c’est la vie quotidienn­e d’une poignée de personnage­s qui, comme elle, semblent être des exilés du bonheur.

Fine psychologu­e, dentellièr­e des états d’âme, Anita Brookner n’aura rien fait d’autre, tout au long de son oeuvre, que donner la parole aux silencieux, aux anonymes et à tous ces coeurs simples qui, dans l’ombre, attendent qu’on

«Ma propre vie était décevante. C’est le besoin d’y voir plus clair qui m’a amenée à écrire»

leur tende la main pour marcher vers la lumière. Une lumière toujours fragile, qui fut l’obsession d’une romancière discrète qui avait trouvé chez Proust un compagnon de route, pour raconter le temps perdu. Et, parfois, retrouvé, grâce à l’écriture.

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