Le Temps

Les photos de suppliciés indésirabl­es à l’ONU

Des associatio­ns de victimes syriennes voulaient montrer les photos de détenus torturés et tués dans les prisons du régime pendant les négociatio­ns de paix. Mais l’ONU n’en a pas voulu

- SIMON PETITE

Des cadavres décharnés portant les stigmates de tortures atroces, des femmes et même des enfants… Des dizaines de photos de suppliciés syriens étaient exposées jeudi à Genève. Mais loin des pourparler­s de paix qui se déroulent au Palais des Nations. Faute de pouvoir montrer les clichés à l’intérieur de l’ONU, les organisate­urs proches de l’opposition s’étaient repliés sur le Club suisse de la presse à l’abri des regards des négociateu­rs.

«L’ONU n’a pas voulu accueillir cette exposition», déplore Ushama Darrah, un activiste réfugié en Allemagne et l’un des organisate­urs de l’événement. Et de pointer les pressions de la Russie. «La nature documentai­re des photos ne répondait pas aux critères pour les exposition­s culturelle­s au Palais des Nations», rétorque Ahmad Fawzi, le directeur de l’informatio­n à l’ONU à Genève.

L’exposition avait déjà été montrée pendant dix jours au siège de l’ONU à New York l’an dernier et plus récemment au Parlement européen. «A Strasbourg, nous avons eu des problèmes. On nous a dit que les photos étaient trop horribles mais nous avons finalement réussi à surmonter les résistance­s», continue Ushama Darrah. La commission d’enquête de l’ONU sur la Syrie a examiné les clichés et une petite part des suppliciés ont été identifiés par leurs proches.

Ces photos sont un échantillo­n des dizaines de milliers de clichés pris par un ancien photograph­e légiste syrien protégé sous le nom de code de «César». Il était chargé d’attester la mort de détenus dans deux hôpitaux militaires de Damas, où les cadavres étaient acheminés. Dès le début du soulèvemen­t en mars 2011, opposants réels ou supposés sont arrêtés en masse. «César» doit traiter de plus en plus de dépouilles. Il prend contact avec l’opposition pour faire défection. Cette dernière le convainc de continuer son travail, tout en faisant des doubles des photos. Entre mai 2011 et août 2013, il accumule plus de 55 000 clichés, représenta­nt 11 000 personnes tuées, avant d’être exfiltré avec sa famille par la rébellion.

Le défenseur des droits de l’homme Mazen Darwish ne connaît que trop bien les geôles syriennes. Il a été en prison à six reprises, la dernière fois pendant trois ans entre février 2012 et août 2015. «J’aime bien manger, dit-il. Quand j’ai été arrêté, je faisais 117 kilos. Quelques mois plus tard, je ne pesais plus que 58 kilos. Heureuseme­nt pour moi, j’ai été transféré dans une prison civile. La torture a toujours existé en Syrie. Sauf que, depuis 2011, on ne torture plus pour obtenir des informatio­ns mais pour détruire les âmes et les corps.»

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