QUAND LA CHINE FAIT SON SHOPPING EN FRANCE
Stéphane Fière signe un roman sardonique sur la mondialisation
◗ La scène s'ouvre dans un prestigieux château du «Peau de lait», euh non, du «Potelé». Ce n'est pas encore ça: «Borrrrr Deu Lêêêêê»! «Bor De Lais»… Voiiiiilà!
Wang Desheng est vice-ministre du Commerce de la République populaire de Chine mais également milliardaire. Le voici, entouré d'une nombreuse délégation venue faire son «shopping» dans les allées du patrimoine français. Il veut des vins, des produits bio, de l'industrie de pointe.
Ses difficultés de prononciation, ses côtés un peu rustiques, cachent un homme d'une intelligence redoutable. Sa richesse et sa brutalité sont elles aussi redoutables. A vrai dire, Wang Desheng est impressionnant sur tous les tableaux. Même ses prouesses sexuelles semblent défier l'entendement, lui qui voyage avec six jeunes «assistantes» âgées de 16 à 22 ans, charmante compagnie qui n'est pas sans effet sur les cadres et chefs d'entreprise français… Lesquels sont rapidement hypnotisés par l'incroyable pouvoir d'achat du visiteur chinois.
Xiao Ma, c'est ainsi que Wang Desheng a surnommé Thibault Marsan, un jeune Français, ancien étudiant de chinois, marié à une de ses nièces, qui l'accompagne également. Le jeune interprète s'efforce d'obtenir à prix cassé les fleurons du patrimoine français que lorgne «Patron Wang», mais bientôt, il fera à ses dépens l'expérience des sautes d'humeur de son dangereux oncle par alliance.
Spécialiste des Song
Car voici qu'entre en scène une sinologue distinguée, Sandrine Roynac, échappée de sa Sorbonne pour rendre service à un interlocuteur français de Patron Wang. Cette spécialiste de la dynastie des Song s'avère être une redoutable concurrente pour Thibault. Elle ne tarde pas à se faire donner du «Xiao San» et à emboîter le pas de la délégation chinoise. Wang Descheng est ravi d'avoir une interlocutrice qui connaît toutes les subtilités de l a culture chinoise, place l es proverbes au bon moment et cite à propos l es poètes classiques. Son charme ne gâte rien. Sandrine est également ravie de trouver un interlocuteur et un patron à sa mesure, d'autant que celui-ci la paie royalement.
Voici donc une fable sardonique sur la mondialisation. Tout l'intérêt de cette satire plutôt féroce dont ni les Chinois ni les Occidentaux ne sortent indemnes, obnubilés qu'ils sont par le profit, est qu'elle est signée Stéphane Fière, fin connaisseur des deux mondes. Ce romancier a déjà signé La
Promesse de Shanghai chez Bleu de Chine, Caprices de Chine à l'Aube et Double Bonheur chez Métailié. Sinisant, Stéphane Fière maîtrise son sujet, n'évite pas toujours la caricature, mais nourrit son récit d'une foule d'observations glanées entre Pékin, Shanghai et Hongkong.