Le Temps

A Kyoto, vieille maison cherche occupation

Pour garder plus longtemps les touristes dans l’ancienne capitale et préserver un patrimoine menacé, les autorités japonaises misent sur l’architectu­re traditionn­elle

- PAR CAROLINE STEVAN, KYOTO

Voir les temples de Kyoto et puis partir. C’est ce que font beaucoup de touristes au Japon, sélectionn­ant les points de chute pour leur singularit­é. L’exubérance technologi­que et vestimenta­ire de Tokyo contre l es j ardins zen de l ’ancienne capitale. Le gouverneme­nt aimerait changer la donne, ou plutôt l’enrichir. Kyoto compte quelque 1600 temples bouddhiste­s et 400 shinto, mais vingt fois plus de maisons à l’architectu­re traditionn­elle, les machiya. Un trésor que les autorités aimeraient exploiter. Fin janvier, elles ont testé un programme touristiqu­e sur cette thématique; Le Temps faisait partie des cobayes.

«Nous aimerions inciter les touristes à rester plus longtemps à Kyoto, ou à y revenir», indique Chiemi Kaneko, organisatr­ice du circuit. «Les machiya sont liées à l’art de vivre de notre ville, avec leur jardin intérieur, leurs cloisons de papier, leur pièce pour la cérémonie du thé… Leur potentiel est énorme mais chaque année, près de 1000 sont recouverte­s ou détruites sur les 48 000 que dénombre la région. Nous devons absolument préserver et restaurer ce patrimoine», argue Takayoshi Sekioka, directeur de l’Office pour la promotion et la rénovation de la ville.

Les «maisons des bourgs» ont émergé dans le Japon du XIIe siècle. Incendies, tremblemen­ts de terre et surtout Seconde Guerre mondiale ont eu raison de leur structure en bois un peu partout dans l’Archipel. Excepté à Kyoto, où beaucoup datent de l’ère Meiji. Joliment alignées dans le quartier des geishas ou coincées entre deux buildings, elles sont surnommées les «chambres à coucher des anguilles» en raison de l eur f orme l ongue et étroite.

Leur structure est toujours identique: entrée directemen­t sur la rue, cuisine étriquée en enfilade, pièce surélevée à gauche, réservée àla réception des hôtes ou au commerce, j ardin au fond, garni d’une font a i ne. Au dessus les chambres, parfois munies d’une alcôve abritant les idoles. Un puits directemen­t relié à l’immense nappe phréatique de la ville apporte l’eau. Les fenêtres et les cloisons, traditionn­ellement faites de papier, sont aujourd’hui renforcées avec du verre. Sur le toit, une statue de Shoki préserve des démons. Pas de la mélancolie.

Miss Sugimoto, descendant­e d’une dynastie de fabricants de kimonos, vit dans une gigantesqu­e maison construite en 1870. Elle promène les touristes d’une pièce à l’autre avec la hantise de voir abîmer un papier peint ou salir un tatami. Emmitouflé­e dans un épais gilet – le papier des carreaux est percé depuis longtemps –, elle rêve des appartemen­ts situés dans le building qui jouxte sa demeure protégée. L’hiver, l es machiya sont polaires. Dans sa «Chronique japonaise» du 24 février 1964, Nicolas Bouvier relevait déjà: «Nous sommes assis en tailleur au centre d’une pièce gla- ciale autour d’un brasero où un peu de thé amer infuse sur trois tisons.» En sus, les escaliers sont étroits et les salles de bains inexistant­es ou reléguées au fond de la cour.

Retour de la tradition

Consciente des exigences actuelles, la société Hachise s’est fait une spécialité dans la rénovation des maisons des bourgs. En quelques mois et pour un peu moins de 150 000 francs de travaux, elle transforme une vieille bicoque inconforta­ble en une habitation ultramoder­ne et ultrachic, empochant au passage un bénéfice d’environ 10% du prix de vente. Achetée 20 millions de yens, une machiya de taille lambda se revendra autour des 48 millions. Beaucoup sont acquises par des Tokyoïtes soucieux de quitter la capitale et ses émanations nucléaires, de plus en plus sont louées aux touristes. La majorité est transformé­e en restaurant­s. Les autorités locales songent encore à y installer des étudiants étrangers et des activités culturelle­s. Un fonds de soutien à ces transforma­tions, créé par la ville en 2005, finance les travaux pour moitié, pour un montant maximal de 5 millions de yens (42 500,00 francs environ).

«Pour la génération de mes parents, l’idéal était de quitter le centre-ville pour vivre dans un appartemen­t moderne en périphérie. Les machiya étaient apparentée­s à la vie de nos grands-parents, note Chiemi Kaneko, 50 ans. Aujourd’hui, acheter une machiya est devenu tendance, il y a un retour à la «japanité». La nostalgie et la culture traditionn­elle sont à la mode.» D’autant que les bâtisses s’inscrivent parfaiteme­nt dans l’inclinatio­n au développem­ent durable, à l’utilisatio­n de matériaux naturels et de techniques anciennes. Et qu’elles résistent mieux aux séismes que les habitats modernes.

L’associatio­n WAK (Women Associatio­n of Kyoto) a parfaiteme­nt saisi ces enjeux. Elle propose aux touristes et aux Japonais avides de redécouvri­r leur culture des expérience­s traditionn­elles dans ses deux machiya du centre de Kyoto. Au programme: cérémonie du thé, transforma­tion en geisha, cours de japonais, ateliers sushis ou origami. Cameron Diaz, Julia Roberts, Nicholas Cage et Leonardo DiCaprio ont apprécié, énumère fièrement Michi Ogawa, qui a fondé l’organisati­on il y a vingt ans afin d’offrir une activité aux femmes de son pays. «Le tout n’est pas seulement de porter un kimono ou d’assister à une cérémonie du thé, nous voulons

«Les machiya sont liées à l’art de vivre de notre ville. Chaque année, près de 1000 d’entre elles sont recouverte­s ou détruites, sur les 48 000 que dénombre la région»

TAKAYOSHI SEKIOKA, DIRECTEUR DE L’OFFICE POUR LA PROMOTION ET LA RÉNOVATION DE KYOTO

vraiment transmettr­e notre culture et l’expliquer», précise la petite dame, sourire doux et tenue ancestrale. Pour se frotter aux coutumes du pays, le touriste pourra fréquenter encore des machiya-fabriques de s aké, des machiya s ervant des okonomiyak­i – les galettes locales – ou des machiya abritant des ateliers d’artisans.

Le feu, l’ennemi

La région de Miyama, à une heure trente de Kyoto en bus, est l’autre cible des autorités en matière de tourisme architectu­ral. La zone, protégée depuis vingt-deux ans, compte une centaine de maisons traditionn­elles. Largement plus imposantes que les machiya, elles marient des parois de bois avec un toit de pampas séchées, qu’il faut renouveler tous les quarts de siècle. Les jeunes ont quitté cette région agricole depuis longtemps, laissant les vieux dans leurs chaumières. Quelques-uns accueillen­t des étrangers pour la nuit. Comme à Kyoto, chaque logement comporte une chambre d’amis, dont la grandeur se calcule en nombre de tatamis. Les hôtes ont ajouté des salles de bains à leur logis mais cuisinent encore sur un brasier allumé dans le sable. Les incendies sont le plus grand ennemi des vieilles bâtisses. A Kyoto, un seau rouge, rempli de glace lors de notre visite, attend la catastroph­e devant les maisonnées. Dans le petit village de Kita, chacune des 38 demeures inscrites au patrimoine local est visée en permanence par un canon à eau.

En cette fin janvier, les montagnes alentour sont recouverte­s de neige et cela réjouit les voyageurs thaïlandai­s ou indonésien­s de passage. Le village, situé seulement à 300 mètres d’altitude, a des airs d’éternité qu’un habitant d’Evolène ne renierait pas. Misant sur l’écotourism­e, les acteurs locaux ont compris qu’un trop grand développem­ent des infrastruc­tures tuerait leur authentici­té. Les hébergemen­ts se comptent sur les doigts des deux mains. Reiko Takezawa, 80 ans bien tassés, a été approchée pour ouvrir son foyer aux touristes. Elle s’essaie avec notre groupe. Sa maison, construite il y a deux siècles, est entourée de bois destinés au charbon. Il faut voir la vieille dame s’enfiler à quatre pattes dans le grand four pour veiller à la cuisson. Sur son visage, les rides racontent une vie pleine, les yeux pétillants et le sourire une liberté que seuls s’accordent les aïeuls dans ce pays compassé. Reiko Takezawa montre ses arbres, le barrage qu’a construit le gouverneme­nt derrière sa maison, les trois fours de sa cuisine destinés à cuire les aliments pour les humains et ceux pour les chevaux. Elle pose avec légèreté. Une maison – même vieille de 200 ans – est peu de chose sans une âme pour l’animer.

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de machiya disparaiss­ent chaque année, remplacées par des immeubles
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(CST) (DR) Des centaines de machiya disparaiss­ent chaque année, remplacées par des immeubles ou des villas modernes. La cour intérieure est toujours aménagée en jardin et est généraleme­nt ornée d’une fontaine.
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(HACHISE) Beaucoup de maisons traditionn­elles sont transformé­es en hébergemen­ts pour touristes.
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(CST) Les machiya donnent toujours sur la rue et leur entrée consiste souvent en un commerce.
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 ?? (HACHISE) ?? Les rideaux – noren – accrochés devant les commerces, restaurant­s et hôtels offrent une certaine intimité aux clients de passage.
(HACHISE) Les rideaux – noren – accrochés devant les commerces, restaurant­s et hôtels offrent une certaine intimité aux clients de passage.

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