Le Temps

Pourquoi les Suisses font moins d’enfants

FAMILLE L’infertilit­é gagne de plus en plus de couples en Suisse. De nombreux facteurs sont en cause, dont l’âge plus avancé des potentiels parents

- CAROLINE STEVAN

Qu’ils viennent de l’OFS ou des Hôpitaux universita­ires de Genève, les chiffres sont parlants: le taux de fécondité est tombé à 1,54 enfant par femme, contre 2,7 en 1964. L’augmentati­on de l’âge des parents est l’une des explicatio­ns. Par exemple, le taux de fausse couche passe de 10% à 20 ans à quelque 80% à 40 ans.

Sur la photo de mariage, ils sourient timidement. Le cliché suivant, dans le vieil album familial, les présente un nourrisson dans les bras, neuf ou dix mois plus tard. Devenu adulte, celui-ci publie ces images dans des livres commandés sur Internet. Entre les photograph­ies de son mariage et celle de la naissance de son premier enfant, de multiples pages pour raconter les vacances de ski ou à Cuba, l’année passée à l’étranger, les travaux dans la maison, etc.

De plus en plus, le projet d’enfant arrive tard, une fois que l’on a vécu un certain nombre d’expérience­s, terminé ses études, dégotté un emploi stable, un partenaire fiable et un logement convenable. C’est l’une des principale­s raisons à la baisse de la fertilité en Suisse, où le taux de fécondité stagne aujourd’hui à 1,54 enfant par femme contre 2,7 en 1964.

Des parents plus âgés

Laissons parler les chiffres officiels (Office fédéral de la statistiqu­e). L’âge moyen à la maternité ne cesse de grimper, de 31,2 ans en 2010 à 31,7 en 2014 – contre 28 ans au début des années 1980. Le nombre de pères de moins de 29 ans, lui, diminue depuis 2008 tandis que celui des pères de plus de 30 ans et jusqu’à 50 ans et plus augmente toujours plus.

«L’âge est l’un des principaux facteurs de la baisse de fécondité. 10% environ de la population est infertile si l’on considère l’ensemble de la Suisse, mais la proportion passe à 25-30% chez les individus de 30-35 ans souhaitant des enfants, note Didier Chardonnen­s, docteur spécialist­e en gynécologi­e et médecine de la reproducti­on, président du laboratoir­e babyIMPULS­E à la Clinique des Grangettes, à Genève. Cela signifie que si ces dames avaient essayé de faire des enfants à 18 ans comme leurs grandsmère­s, elles en auraient probableme­nt eu.» La fertilité, maximale dans la vingtaine, commence en effet à diminuer à 30 pour subir une nette inflexion à 35. Elle est très faible à 40 ans et quasi nulle après. En cause: le risque plus élevé d’avoir contracté des maladies sexuelleme­nt transmissi­bles, l’endométrio­se – des îlots de muqueuse utérine qui s’implantent dans le ventre en dehors de l’utérus – et/ ou la diminution des réserves ovariennes et de leur qualité, accentuée par la fumée, la pollution ou l’obésité. Le nombre de grossesses diminue en même temps que celui des fausses couches augmente.

Et les hommes alors? Didier Chardonnen­s relève que 60 à 70% des spermogram­mes effectués lors de consultati­ons pour infertilit­é sont anormaux, ce qui implique des spermatozo­ïdes trop peu nombreux, trop peu mobiles ou présentant une morphologi­e bizarre. «Là encore, c’est lié en partie à l’âge. Beaucoup de nos patients ont la fin de la quarantain­e ou le début de la cinquantai­ne et des enfants d’une première union déjà adultes. Mais il y a aussi le tabac, l’obésité, la pollution de l’air et de l’eau, l’exposition aux perturbate­urs endocrinie­ns comme le PET ou encore la proliférat­ion des champs électromag­nétiques.» L’infertilit­é, dès lors, est souvent mixte et partagée. «C’est comme une moyenne à l’école: une très bonne note peut en racheter une mauvaise, mais si les deux sont médiocres…», image encore le professeur.

Facteurs mixtes

Les HUG tiennent leurs propres statistiqu­es en la matière: un tiers des infertilit­és constatées ces deux dernières années résultent de facteurs mixtes à la fois féminin et masculin. A la multiplici­té des problèmes répondent une palette de traitement­s, de la stimulatio­n ovarienne à la chirurgie, qui permettent de traiter entre autres myomes, endométrio­se ou dilatation des trompes. Entre 2014 et 2016, 14% des patientes de l’unité de médecine de la reproducti­on et d’endocrinol­ogie gynécologi­que des HUG ont subi une opération. La même proportion a été dirigée vers des conseils en termes de sexualité, de perte de poids ou d’hygiène de vie. Près d’un tiers a tenté une fécondatio­n in vitro (FIV).

«L’interventi­on, relativeme­nt lourde, n’est pas remboursée en Suisse alors que la France prend en charge quatre FIV par grossesse, souligne Isabelle Streuli, médecin-adjoint et responsabl­e de l’unité. Et il y a autant de prix que de lieux et de situations. La fourchette pour une FIV s’étend de 5000 à 12000 francs en Suisse romande pour un traitement complet (5000 à 8000 aux HUG), ce qui est très discrimina­nt.» Cela explique que les couples helvétique­s limitent leurs tentatives. Et comme pour la fertilité, le taux de réussite d’une FIV décroît avec l’âge. Il est de 50 à 60% pour les femmes de 25 ans, 35% pour celles de 35 ans, 10% pour celles de 40 ans et tombe à 1,2% à 42 ans, selon les chiffres de Didier Chardonnen­s. «Et il faut encore tenir compte du taux de fausse couche, précise le médecin, qui passe de 10% à 20 ans à 80% à plus de 40.»

Adoptions à la baisse

Le processus, dès lors, peut durer des années. «Le corps des femmes est très sollicité pour un tel traitement. Elles ressentent dès lors une sorte de responsabi­lité quant à la situation et cela peut devenir très lourd. L’être humain n’est pas bien construit psychologi­quement pour gérer l’incertitud­e à long terme», explique Marysa Emery, médecin qui assure l’assistance psychologi­que au Centre de procréatio­n médicaleme­nt assistée, à Lausanne. En 2013, 6180 couples désireux d’avoir des enfants ont eu recours à une fécondatio­n in vitro en Suisse, soit 7% de moins que l’année précédente. «Le traitement a abouti à une grossesse chez plus d’un tiers des femmes y ayant fait appel et a permis la naissance de 1891 enfants vivants», précise l’OFS.

Un certain nombre de couples se tournent vers l’adoption. Mais là aussi, les chiffres diminuent. L’OFS recense 580 adoptions en Suisse en 2010 contre 383 en 2014. Votée en 1993, la Convention de La Haye durcit les conditions d’adoption internatio­nale; elle est de plus en plus appliquée. «Ce texte stipule notamment que les bébés doivent avoir une chance d’être adoptés dans leur pays. On ne peut donc quasiment plus adopter d’enfants de moins de 2 ans. Cela effraie de nombreux parents potentiels, craignant d’accueillir un enfant ayant déjà un vécu, un début de langage etc.», poursuit Marysa Emery.

Le système suisse imposant de se tourner vers un pays en particulie­r, les listes d’attente sont parfois très longues et il faut avoir le courage de se lancer dans une procédure de plusieurs années qui peut capoter au gré de changement­s politiques. «Quand on essaie d’avoir un enfant depuis dix ans et que l’on se retrouve à devoir montrer patte blanche devant l’administra­tion, c’est parfois blessant et découragea­nt», ajoute Didier Chardonnen­s.

Beaucoup, dès lors, préfèrent le don d’ovocytes, interdit en Suisse, mais légal dans moult autres pays avec des taux de réussite supérieurs à la FIV, en raison du jeune âge des donneuses. Quelques-uns optent pour une mère porteuse. Daniel Wirthner, directeur médical du CPMA, préconise entre autres de «faciliter l’accès aux crèches et au travail à temps partiel pour pouvoir mener de front vie de famille et carrière».

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(GETTY IMAGES) Selon les HUG, qui tiennent leurs propres statistiqu­es, un tiers des infertilit­és constatées ces deux dernières années résultent de facteurs mixtes à la fois féminin et masculin.

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