La classe moyenne otage de la RIE III
VOTATION Les partisans et opposants à la réforme fiscale sont entrés en scène mardi. L’économie devrait investir au moins 5 millions de francs dans la campagne, contre 400 000 pour les référendaires, qui font de ce déséquilibre un argument choc
La bataille autour de la troisième réforme de la fiscalité des entreprises a commencé. La gauche appelle à la défense de la classe moyenne avec une mise en scène tape-à-l’oeil et le slogan: «Possédez-vous une grande entreprise?» L’économie devrait investir au moins 5 millions de francs dans la campagne, contre 400000 pour les référendaires.
Sur le fond tout le monde est d’accord: la suppression des rabais fiscaux dont bénéficient aujourd’hui certaines entreprises est nécessaire sous la pression internationale. Mais la manière d’accompagner cette suppression provoque un choc idéologique.
Projet équilibré pour les uns, trop chargé pour les autres, la troisième réforme de l’imposition des entreprises (RIE III) soumise au vote le 12 février suppose une baisse des taux ordinaires pour les firmes et la mise à disposition de nouvelles niches fiscales. Les fronts pour et contre le projet ont ouvert les feux mardi à Berne.
Economiesuisse aux aguets
A droite, un comité interpartis (UDC, PLR, PDC, PBD et Vert’libéraux) s’engage aux côtés de l’économie. Sans surprise, economiesuisse a fait de cette votation une haute priorité. Combien la faîtière investira-t-elle dans la campagne? Le Parti socialiste livre son estimation: 10 millions de francs. Une échelle officieuse veut qu’economiesuisse classe les votations en trois catégories, dont dépendent les montants versés dans la campagne. Pour les enjeux de première importance, comme c’est le cas ici, on parle d’un montant compris entre 5 et 8 millions. Juste? Responsable de projets auprès d’economiesuisse, Vincent Simon ne donne pas de chiffre: «De toute manière, nos contradicteurs pensent influencer le vote en nous accusant d’engager des moyens énormes. C’est une campagne importante pour nous. Mais elle demande avant tout un grand travail d’information, car les enjeux sont complexes et diffèrent d’un canton à l’autre.»
Une source confirme qu’un plancher de 5 millions de francs sera investi par l’économie. Les 10 millions avancés par le PS semblent toutefois exagérés, notamment car la campagne sera très courte jusqu’au 12 février. Et puis – c’est la complexité de la réforme – toutes les entreprises, y compris les multinationales, ne sont pas concernées de la même manière. Ainsi, la Swiss Trading and Shipping Association (STSA), qui représente les activités de négoce, soutient la RIE III, mais n’investira pas 1 franc dans la campagne. «Nous sommes satisfaits de la réforme proposée dans la mesure où elle est équilibrée et porte prioritairement sur le maintien de taux d’imposition des bénéfices modérés dans chaque canton. Cette solution profitera avant tout à l’emploi et aux PME locales. Pour nos membres, les nouveaux instruments fiscaux sont peu concernants», indique Stéphane Graber, secrétaire général de la STSA.
«Le peuple contre les entreprises»
La gauche référendaire fera du déséquilibre des sommes engagées dans la campagne un argument majeur. Comme lors de l’initiative Minder «Contre les rémunérations abusives» en 2013, on rejouera David contre Goliath. «Oui, bien sûr, nous allons axer notre message sur cet aspect. C’est le peuple contre les grandes entreprises, ce qui n’est pas qu’un slogan, mais aussi la réalité de cette réforme fiscale», confirme Michael Sorg, porte-parole du Parti socialiste suisse. Le front référendaire a ainsi pris comme nom «Appel à la défense de la classe moyenne». Tout un symbole. Cet appel déclare un budget global de campagne de 400000 francs.
Pourquoi la classe moyenne trinquerait-elle? «Les pertes de recettes fiscales d’au moins 2,7 milliards de francs [1,3 milliard pour la Confédération et 1,4 milliard pour les cantons et les communes, ndlr] seront supportées par les contribuables, la classe moyenne en premier», explique la conseillère nationale Prisca Birrer-Heimo (PS/LU). Des villes, des pasteurs ainsi que les syndicats d’enseignants se joignent à ces inquiétudes. «Ces pertes fiscales provoqueraient immanquablement des coupes sur le dos de l’éducation», craint Samuel Rohrbach, le président du Syndicat des enseignants romands (SER). Un contresens à ses yeux, car il s’agit de maintenir le niveau de formation pour que les entreprises internationales profitent d’une main-d’oeuvre très qualifiée.
Le comité de soutien à la RIE III tente d’esquiver la fronde en se présentant lui aussi comme un petit David qui représente la classe moyenne. C’est ainsi au nom de la protection de l’emploi et de la compétitivité que la droite fera campagne. Avec des chiffres à l’appui: 300000, comme le nombre d’emplois dépendant du succès de la réforme (150000 liés aux sociétés à statut spécial et 150000 dans les PME clientes de ces sociétés) et 6 milliards, comme les dépenses de recherche et développement investis chaque année par des sociétés bénéficiant d’une imposition privilégiée en Suisse.