Le Temps

François Fillon, à droite toute

FRANCE L’ancien premier ministre est candidat de la droite à la présidenti­elle de 2017. Porté par une vague conservatr­ice et catholique, favorable à une rupture économique libérale assumée, il incarne l’ambiguïté d’une France qui veut changer… et restaure

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

Une république naufragée. Une France menacée. Des Français épuisés. Une économie asphyxiée. Une Europe déboussolé­e. Depuis trois ans, François Fillon labourait le terrain électoral en brandissan­t ces thèmes. «Ce que j’entends: le ras-lebol. Ce que je vois: la faillite», nous avait-il lancé lors d’une rencontre avec quelques journalist­es, à l’automne 2015, lors de la sortie de son livre Faire (Ed. Albin Michel). De tous les candidats déclarés à la primaire de la droite française – Nicolas Sarkozy ne l’était pas encore – l’ancien premier ministre était celui qui avait le plus «bossé». «Quand vos compatriot­es accusent l’Etat de les faire ch… en plaçant des radars routiers dans les descentes à seule fin de recettes fiscales, il faut être sourd et aveugle pour ne pas comprendre que ce pays va dans le mur», avait-il poursuivi devant nous. Et d’ajouter: «Je veux démolir ce mur et arrêter d’installer ces radars qui emm… les Français.»

Ainsi va François Fillon, 62 ans, vainqueur incontesté de la primaire de la droite et désormais favori de la course à l’Elysée, en avril-mai 2017. Un candidat convaincu qu’il a mieux compris la France que ses adversaire­s, parce qu’il a su écouter ce que les autres ignorent. Illustrati­on? Le sort des chrétiens d’Orient, martyrisés par les islamistes en Syrie et en Irak. Tous ses concurrent­s ont eu des mots de compassion pour cette minorité religieuse forcée à l’exil. Lui est allé sur place, et a perçu l’écho hexagonal à leur tragédie lointaine: «Je l’ai souvent entendu dire que l’on se méprenait sur les Français, explique un de ses proches. Le drame des chrétiens d’Orient a réveillé, dans de nombreuses familles provincial­es et normalemen­t conservatr­ices, le goût de la fraternité catholique, des églises, des échanges avec les prêtres et les évêques.» Lui-même se dit catholique non pratiquant. Sa femme, Galloise de confession anglicane, s’est convertie au catholicis­me sans avoir pour autant «la foi du charbonnie­r». Fillon a néanmoins grandi politiquem­ent à l’ombre de l’abbaye de Solesmes, dans son fief de Sablésur-Sarthe: «Il a un côté cathédrale, confie son éditeur Alexandre Wickham. Il croit que les gens ont avant tout besoin de repères.»

A l’écart des médias

Le personnage public est atypique. Alors que les énarques et autres élèves des «grandes écoles» françaises qui l’entourent depuis quatre décennies adorent les incantatio­ns républicai­nes, François «le Sarthois» a longtemps préféré parler de sa province, cultiver sa passion privée de la montagne et se tenir à l’écart des médias. Comme s’il aimait, au fond, ce rôle de «second» entamé auprès du prometteur député Joël Le Theule (qu’il remplace au pied levé après son décès en 1981, en pleine vague rose mitterrand­ienne), poursuivi aux côtés du colosse Philippe Séguin (disparu en janvier 2010) puis de l’ogre Nicolas Sarkozy. La communican­te Anne Méaux, l’une de ses intimes, s’interrogea­it devant nous alors qu’elle s’efforçait de le convaincre de participer au Forum des 100 de L’Hebdo à Lausanne, le 19 mai dernier –, ce qu’il fera: «On croit trop que la qualité d’homme d’Etat tombe du ciel, qu’on naît avec. Or ce n’est pas son cas. Vous pouvez peut-être mieux comprendre cela en Suisse, où l’apprentiss­age rime avec excellence. Fillon a fait un long, très long apprentiss­age.»

Le résultat est une posture hybride. Patient et pragmatiqu­e, celui qui dut subir pendant ses cinq années à Matignon les foucades et les injonction­s de Sarko président, désapprouv­e plus que tout les modes et les diktats de la com. Une sorte de croisement d’Antoine Pinay, le ministre des Finances fétiche de la fin des années 1960, et de Georges Pompidou, chef de l’Etat emblématiq­ue de l’apogée des Trente Glorieuses (1970-1974). Mais gare: son goût du rétroviseu­r est aussi celui de l’amateur de sport automobile, fana du circuit du Mans, épris de technologi­e, de vitesse et d’innovation. Il a été ministre de la Recherche, des Télécoms, de l’Espace. Il aime la poursuite et ne peut s’empêcher de citer Jacky Ickx, le fameux pilote belge qui, en 1969, remporta les 24 Heures après être parti dernier.

«Dévoré par son impatience, Sarkozy n’a pas compris que Fillon attendait. Il l’a cru cloué à jamais sur la ligne Matignon», analyse une journalist­e autrefois chargée de l’Elysée. Idem pour son programme. Quand Fillon avertit face caméra, dès septembre 2007: «Je suis à la tête d’un Etat en faillite», tout le monde y voit une capitulati­on. Erreur. L’homme a pris date. La France dépense trop. L’administra­tion est pléthoriqu­e. Le nombre de ministres (il en propose 15) et des parlementa­ires doit être drastiquem­ent réduit. Seule l’amputation du nombre de fonctionna­ires et des dépenses sociales permettra d’en sortir: «Il ne croit pas à la politique du verbe. Il ne dit pas les choses pour évacuer le sujet, mais pour être entendu, complète un de ses proches collaborat­eurs. Et si vous regardez bien ses prises de position, son libéralism­e ne date pas d’hier.»

Libéral, lui, cet élu à l’allure de hobereau qui pose en famille devant son château de Beaucé (Sarthe), et demande au journalist­e helvétique si c’est une bonne idée d’écrire que l’un de ses fils (il a cinq enfants) travaille… à UBS? On se pince. Son mentor Philippe Séguin était souveraini­ste, euroscepti­que, anti-euro et étatiste. Son émissaire auprès du grand patronat, l’ancien président d’Axa Henri de Castries, incarne le capitalism­e financier mondialisé. Alors? La réponse est tout, sauf dogmatique. Fillon n’est pas Thatcher. Il n’est pas l’idéologue des privatisat­ions et du marché. Mais lorsque Philippe Séguin rejoint Jacques Chirac pour la campagne présidenti­elle de 1995, lui soufflant le thème de la «fracture sociale», le Sarthois fait le choix de Balladur. Le premier ministre de l’époque est comme lui: désuet et ouvert au progrès. Chirac flatte. Séguin vocifère. Juppé administre. Fillon ausculte. Sans accoucher toujours du bon diagnostic: «Vu du Léman, il y a du protestant en lui, ce côté éthique du travail, de l’effort et de la concurrenc­e, note François Garçon, auteur de La Suisse, pays le plus heureux du monde (Ed. Tallandier). Mais il reste très Français, attaché au baccalauré­at avant l’apprentiss­age, ou au référendum plébiscita­ire plutôt qu’à des formes plus complexes de démocratie directe.»

La défense, la force et l’identité

Impossible, aussi, de comprendre le personnage Fillon sans s’intéresser au secteur dont il fut de longue date l’un des meilleurs experts parlementa­ires: la Défense. Pour cet aîné de quatre frères, petit-fils de garagiste, fils de professeur d’université, l’armée incarne l’ordre, les valeurs, l’identité. Mieux: l’efficacité et la cohésion nationale. Sa droite n’est pas celle de l’argent, même s’il est homme d’affaires avisé, à la tête d’une prospère société de consultant, 2F Conseil. C’est une droite patrimonia­le, rempart contre le délitement ambiant dont il voit partout les traces.

Lors de ses incursions alpines en Suisse, à Verbier ou dans les Alpes bernoises, le député Fillon interrogea­it toujours ses hôtes, dans les années 1980, sur l’état de la mobilisati­on, et sur le fonctionne­ment de l’armée helvétique. Il ne partageait pas l’avis de Jacques Chirac sur l’abandon du service militaire obligatoir­e, entré en vigueur en 1997. Ce n’est pas pour rien qu’il apprécie le «tsar» Poutine et qu’il défend une alliance avec la Russie pour vaincre le «totalitari­sme islamiste»: «Paradoxale­ment, ce détracteur de l’impérialis­me américain – il l’avait dénoncé lors de son discours à Lausanne – n’a pas confiance dans l’Europe car elle n’est pas assez militarisé­e», s’inquiète l’analyste Alain Delétroz, du Centre de politique de sécurité de Genève. L’eurodéputé Arnaud Danjean, grand spécialist­e des Balkans et proche d’Alain Juppé confirme: «Fillon a quand même comparé lors du dernier débat télévisé le cas de la Crimée annexée par la force à celui du Kosovo, dont l’indépendan­ce a été négociée sous conditions.» Fidélité au général de Gaulle qui plaidait «pour une Europe de l’Atlantique à l’Oural»? «Dès qu’on gratte, son profond conservati­sme remonte à la surface. Il assimile un peu trop vite les nuances stratégiqu­es à des théories fumeuses», s’énerve notre interlocut­eur.

François Fillon a en lui l’intransige­ance ourlée de l’officier, amateur de communicat­ion destinée à le valoriser. Le 29 août 2013, Paris Match lance sa campagne pour les primaires avec un reportage sur sa famille au château de Beaucé, très Point de vue images du monde. Mi-novembre, l’émission de M6 Ambition intime fait un tabac en le montrant naturel, détendu, accompagné de sa fille Marie, 34 ans. Succès. La découverte de sa propriété sarthoise ensoleillé­e, genre «Relais et Châteaux», éclipse ses opinions controvers­ées sur quelques questions sociétales majeures telles le droit des femmes à l’avortement (il a toutefois toujours voté les textes parlementa­ires), son refus de voter en 1982 la dépénalisa­tion de l’homosexual­ité ou sa propositio­n de réécrire la loi Taubira sur le mariage pour tous et l’adoption par un couple du même sexe. Autant de prises de position sur lesquelles la gauche française compte bien le harceler.

«Dévoré par son impatience, Sarkozy n’a pas compris que Fillon attendait. Il l’a cru cloué à jamais sur la ligne Matignon» UNE JOURNALIST­E CHARGÉE DE L’ÉLYSÉE Ce n’est pas pour rien qu’il apprécie le «tsar» Poutine et qu’il défend une alliance avec la Russie pour vaincre le «totalitari­sme islamiste»

Qu’importe. François Fillon assume désormais son coming out conservate­ur. La droite «profonde» est désormais son terrain de chasse. Dimanche soir, à la Maison de la Chimie louée par ses partisans, l’ancien président de la région Rhône-Alpes Charles Millon – jadis politiquem­ent marginalis­é pour avoir pactisé avec le Front national – circulait avec le sourire. L’égérie de la manif pour tous, Frigide Barjot, s’était aussi déplacée pour y rencontrer ses amis de Sens commun, l’associatio­n de catholique­s engagés contre la loi Taubira, qui ont quadrillé le terrain pour «François». Fillon réactionna­ire? «Non, nous répondait en septembre son ami essayiste Nicolas Baverez, chroniqueu­r acide du déclin français. Il a juste compris que s’il s’agit de redresser la France, nos concitoyen­s sont prêts pour le grand virage.» Un virage à droite toute.

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(MARIANNE ROSENSTIEH­L/SYGMA VIA GETTY IMAGES) François Fillon avec son fils Edouard dans son fief, le château de Beaucé (Sarthe).

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