Le conseiller survivaliste d’Oskar Freysinger
Consultant externe du Département valaisan de la sécurité, le survivaliste genevois Piero San Giorgio est à la fois un redoutable homme d’affaires et une figure controversée de l’extrême droite
Pour prémunir son canton contre les crises sociétales à venir, guerres nucléaires ou catastrophes écologiques, le ministre valaisan Oskar Freysinger prend conseil auprès du survivaliste Piero San Giorgio. Portrait d’un homme d’affaires redoutable, figure controversée de l’extrême droite
Pour lui, «ce n’est pas de la science-fiction». Le survivaliste Piero San Giorgio martèle que la planète va vers un effondrement énergétique, politique et économique qui la mènera à un état de guerre généralisée d’ici à 2025. A titre de consultant externe, il fait partie du groupe de travail mandaté par Département de la sécurité pour élargir l’inventaire des risques auxquels l’Etat du Valais entend se préparer.
Pour le ministre Oskar Freysinger, qui envisage guerres nucléaires et violences urbaines, «nous voulons inciter les autres cantons et la Confédération à ne pas rester prostrés dans une position de bisounours, mais à préparer le pire.»
En 2014, Oskar Freysinger et Piero San Giorgio avaient tourné une vidéo intitulée Réflexion sur une crise à venir. Le conseiller d’Etat évoque un effondrement financier qui pourrait provoquer des pénuries alimentaires et énergétiques: «On risque de se retrouver dans une situation du chacunpour-soi.» Le survivaliste promet des solutions pour une résilience post-apocalyptique.
Parmi les initiés, Piero San Giorgio passe pour un importateur du survivalisme américain. Depuis 2011, et Survivre à l’effondrement économique, il a publié trois livres, traduits dans plusieurs langues et distribués jusqu’à 100000 exemplaires. Persuadé de «l’imminence de la catastrophe», il soutient que «le seul moyen de survivre, c’est de s’établir dans un endroit éloigné des zones de trouble et d’acquérir une autonomie durable».
Parmi d’autres conseils qui tendent à l’autosuffisance, l’auteur encourage ses lecteurs à s’armer aussi vite que possible, au moins d’une arme longue et d’une arme de poing. Il leur recommande aussi d’identifier les groupes cibles de leur voisinage, malades chroniques ou consommateurs de drogues. Près de Genève, il a bâti sa propre «base autonome durable».
Sous son vrai nom, Piero Falotti est un homme d’affaires qui a longtemps arpenté l’Afrique. Né en Italie, ancien du géant américain Oracle et spécialiste des marchés émergents, le quadragénaire vante une longue carrière dans le marketing et la technologie. Il a finalement cédé l’entreprise qu’il a fondée et qui proposait «une force de vente aux sociétés américaines qui désirent s’attaquer au marché européen».
La même année, et sous son pseudonyme, il organisait des stages de survie qui comprenaient une initiation aux armes à feu. Facturés 200 euros, ils étaient commercialisés par Egalité et réconciliation, une association fondée par l’essayiste Alain Soral, condamné plusieurs fois pour incitation à la haine raciale. Les deux hommes ont été longtemps liés par leur participation commune à l’actionnariat de plusieurs sociétés.
Le survivaliste ne cache pas son admiration pour Serge Ayoub, «un homme posé, intelligent, à la tête bien pleine». Piero San Giorgio a même donné une conférence dans les locaux tenus par le skinhead, leader historique de plusieurs groupes d’extrême droite français désormais interdits.
Habitué des médias de «réinformation», il était l’invité de Daniel Conversano, fasciste assumé, il y a quelques jours. La presse française considère le survivaliste comme proche de l’extrême droite radicale. Lui concède: «Une part non négligeable de mes lecteurs sont issus de ces milieux.» Et corrige: «Ce sont eux qui sont proches de moi.»
Décrivant un racialisme scientifique ou cultivant la virilité, Piero San Giorgio produit des vidéos visionnées jusqu’à 30000 fois sur YouTube. Il y explique, entre autres, la différence entre l’ennemi, l’adversaire et le traître, qui peuvent exister même sans guerre. Se décrivant «pacifique», mais «pas non violent», il affirme que «la violence résout tous les problèmes».
Sur les réseaux, il partage ses opinions politiques. Pour lui, «les Italiens vont finir par se révolter» et «je ne donne pas cher de la peau des migrants et des traîtres». Il considère le Front national «bien trop à gauche». Pour la Suisse, il soutient que «les citoyens se préparent à se substituer à l’armée» et que «de plus en plus se constituent des milices non officielles».
Dans les milieux nationalistes suisses, le personnage laisse parfois mal à l’aise. Pour un sympathisant de la «dissidence» et d’Alain Soral, «Piero San Giorgio est avant tout un habile businessman, qui sait vendre ses livres». Ses interlocuteurs sont si variés qu’ils peuvent être antagonistes: «Il est régulièrement accusé de tenir un double discours.»
Pour un contributeur du site Lesobservateurs.ch, «Piero San Giorgio n’a pas vraiment d’expertise en matière de survivalisme et ses livres ne dépassent pas ce qu’il dit en essayant de les vendre.» Depuis le mois d’août, il assure la promotion de Survivre aux événements nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques. En campagne pour sa propre succession, Oskar Freysinger vante l’ouvrage dans la presse.
Le gouvernement valaisan refuse de commenter le mandat confié au survivaliste. Selon le chancelier d’Etat, Philipp Spörri, «la constitution du groupe de travail interdisciplinaire est de la compétence du chef du Département de la formation et de la sécurité, Oskar Freysinger». La présidente Esther Waeber-Kalbermatten promet de se renseigner sur Piero San Giorgio.
Un expert de la gestion intégrée des risques et des dangers confie son étonnement. Pour lui, «les cantons engagent habituellement leurs ressources sur des menaces qui représentent une plus haute probabilité d’occurrence qu’une guerre nucléaire» et «je ne comprends pas bien la valeur ajoutée que peut apporter un survivaliste à l’analyse des risques».