Le Temps

Après 22 ans de règne, une élection à risque en Gambie

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Au pouvoir depuis 1994, Yahya Jammeh brigue un cinquième mandat consécutif. S’il sera probableme­nt réélu, le président peut néanmoins craindre une forte contestati­on populaire

Un coup d’Etat en 1994 et, depuis, la présidence ininterrom­pue de ce pays enclavé dans le Sénégal. Pour la cinquième fois, Yahya Jammeh, officier devenu chef d’Etat, 51 ans, se présente à sa propre succession. Mais aujourd’hui et malgré les intimidati­ons, l’issue du vote est plus ouverte que jamais.

Menacé par des manifestat­ions qui ont secoué en avril la capitale, Banjul, et miné par des tensions au sein des forces de sécurité, le pouvoir a appelé à une «élection libre». Yahya Jammeh, accusé de concentrer les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, sera opposé à l’homme d’affaires Adama Barrow, candidat unique de l’opposition et ancien agent de sécurité ayant fait fortune dans l’immobilier. Les Gambiens pourront aussi voter pour un troisième candidat issu du parti présidenti­el et dont les chances de succès sont considérée­s comme nulles. Sa présence s’expliquera­it par une volonté de Yahya Jammeh de grignoter le vote ethnique peul, théoriquem­ent acquis à son vrai rival.

Il s’agit de l’élection présidenti­elle la plus disputée depuis le coup d’Etat de 1994. Mais opposition et organisati­ons de défense des droits de l’homme dénoncent un climat d’intimidati­on générale.

L’ancien secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères Mamadou Jallow est incarcéré depuis le 2 septembre, soit peu après que son épouse eut déclaré publiqueme­nt son soutien au Parti démocratiq­ue unifié (UDP), fer de lance de l’opposition. Le chef de ce même UDP a été condamné en juillet à 3 ans de prison ferme pour participat­ion à un rassemblem­ent illégal, tout comme une trentaine d’autres militants. Même des proches du pouvoir sont inquiétés: le directeur général de la radiotélév­ision d’Etat et un correspond­ant de la chaîne ont été arrêtés le 8 novembre pour des raisons qui demeurent mystérieus­es.

Exceptionn­ellement regroupée autour d’un unique candidat afin d’accroître ses chances de victoire, l’opposition s’attend néanmoins à ce que Yahya Jammeh soit déclaré vainqueur, comme il l’a été lors des quatre dernières élections. Mais les opposants au président affirment disposer d’un plan B, qu’ils tiennent secret. «Ce plan pourrait consister en une mobilisati­on populaire massive, explique un chercheur désirant garder l’anonymat. Les Gambiens ont vu comment les Burkinabés ont contraint leur ancien président Blaise Compaoré au départ en 2014. Ils ne seraient pas à leur galop d’essai: une tentative de coup d’Etat a déjà été réprimée en Gambie fin 2015.»

Contre ces opposants majoritair­ement citadins, Yahya Jammeh peut s’appuyer sur les campagnes, qui l’ont toujours soutenu. «La contestati­on du pouvoir en place se concentre dans les zones urbaines, que ce soit la capitale, Banjul, ou la capitale économique, Serrekunda. Dans les zones rurales, en revanche, le président s’est adjugé un fort soutien par le clientélis­me et les programmes sociaux.» Désormais vidées par la crise économique, les caisses de l’Etat ne pourront assurer longtemps la domination du parti présidenti­el en Gambie rurale.

La commission électorale indépendan­te gambienne (IEC) a exhibé lundi devant les médias un nouveau système censé empêcher la fraude électorale et aider les électeurs illettrés à voter plus facilement. Les électeurs trouveront dans l’isoloir trois urnes métallique­s, chacune à la couleur – verte, violette et grise – d’un des trois candidats.

Ils auront ensuite à glisser une bille, obtenue contre une pièce d’identité, dans l’urne associée au candidat pour lequel ils souhaitent voter. L’introducti­on de la bille doit faire tinter une clochette, censée empêcher un deuxième vote frauduleux. Sous ses airs très démocratiq­ues, ce nouveau système possède une spécificit­é favorable au président: il pourrait en effet consolider l’assise de Yahya Jammeh dans les zones rurales, où plus de 50% des habitants sont analphabèt­es.

Lutter contre la fraude pour favoriser le président

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YAHYA JAMMEH PRÉSIDENT DE LA GAMBIE

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