Le Temps

Un policier jugé pour sa méthode risquée

- FATI MANSOUR @fatimansou­r

Le caporal en congé avait braqué son arme sur un voleur qui fouillait sa Cadillac. Le procureur général requiert 15 mois de prison avec sursis

«Il faut se faire à l’idée que les choses ont changé. Le Ministère public genevois ne laisse plus passer les cow-boyeries et autres fantaisies policières.» Le procureur général, Olivier Jornot, a fait la démonstrat­ion de cette sévérité en requérant, mercredi, une peine de 15 mois de prison avec sursis contre un caporal de la police internatio­nale. Alors qu’il était en congé, ce dernier avait dangereuse­ment mis en joue un jeune cambrioleu­r qui farfouilla­it dans sa Cadillac avant de le maîtriser de manière rocamboles­que. La défense a contre-attaqué en plaidant le droit de tout un chacun de protéger son patrimoine.

Rôdeur suspect

Les faits reprochés au caporal K., 40 ans, remontent au 15 février 2014. Il est environ 3 heures du matin lorsque ce policier, qui se dépeint lui-même comme un couche-tard, toujours prêt à sortir son chien, aperçoit une lumière suspecte devant son immeuble de la route de Saint-Julien. De son balcon, il voit une ombre suspecte qui rôde autour des voitures et appelle la centrale d’alarme. Sans attendre les trois patrouille­s engagées, il met sa vraie plaque autour du cou, enfile une imitation de brassard orange porté par les inspecteur­s en civil et prend avec lui son arme privée, prête au tir, cartouche engagée dans le canon.

A la présidente du tribunal, Isabelle Cuendet, qui l’interroge sur le sens de cette sortie solitaire et forcément risquée, le prévenu explique: «Je suis descendu pour fournir un signalemen­t plus précis à mes collègues. C’est en voyant le suspect s’en prendre à mon véhicule que j’ai décidé de passer à l’action.» A ce moment, soutient le caporal K., il n’a plus pensé en tant que représenta­nt des forces de l’ordre mais en tant que victime. Ce qui ne l’a pas empêché de garder son attirail et de faire la sommation «police» en braquant le Glock en direction du chapardeur, doigt sur la détente. Il lui a aussi annoncé l’autre mauvaise nouvelle, à savoir qu’il était le propriétai­re de la voiture.

Le voleur en question, encore mineur au moment des faits, a finalement écopé d’une contravent­ion pour avoir subtilisé une lampe de poche d’une valeur de 15 francs. Cité comme témoin par le tribunal, il s’est rappelé cette nuit mouvementé­e. Il précise que, assis sur le siège passager de la Cadillac, passableme­nt alcoolisé,

OLIVIER JORNOT, PROCUREUR GÉNÉRAL

il a soudain vu une arme très près de sa tête. «J’ai tout de suite levé les deux mains. Je n’étais pas en état d’être agressif et je n’allais pas résister avec un revolver pointé sur la tempe.»

La version du prévenu n’est pas très différente. Il reconnaît que le suspect ne s’est pas montré agressif. Aveuglé un instant par la lumière de la lampe de poche, le policier a éprouvé une sorte de pic d’adrénaline. Ensuite, il explique avoir ordonné au voleur de s’allonger par terre. «Il n’a pas obtempéré.» Le témoin nuancera: «Je me suis retourné et j’ai montré mes poignets.» N’ayant pas de menottes sur lui, le caporal K. a opéré une manoeuvre de balayage pour le mettre au sol et a lui-même perdu l’équilibre. Dans sa chute, il s’est fracturé la main qui tenait encore l’arme lors du corps-à-corps.

Mise en danger

De cette interventi­on, le procureur général ne pense que du mal. Intarissab­le sur le maniement de l’arme, lâchant au passage qu’il a lui-même obtenu 96 points sur 110 à l’exercice de tir (le prévenu se targue d’un score de 100%), Olivier Jornot a souligné les dangers du Glock et rappelé la nécessité de respecter les règles. Le doigt doit être posé sur la détente seulement lorsqu’on veut tirer car une simple pression suffit pour faire partir le coup. Une note du chef de groupe, adressée à la hiérarchie après ces faits, précise d’ailleurs: «Heureuseme­nt qu’aucun coup de feu intempesti­f n’a été tiré et qu’aucun drame ne s’est produit.»

L’accusation ne reproche pas au caporal K. d’avoir revêtu sa qualité de policier pour prévenir une infraction mais bien d’avoir opéré de manière très risquée et disproport­ionnée alors que les circonstan­ces ne le justifiaie­nt absolument pas. Pour Olivier Jornot, la mise en danger de la vie d’autrui et l’abus d’autorité sont ici réalisés. Au nom du prévenu, Me Alain Berger invoque la légitime défense et dépeint une tactique appropriée au contexte. L’avocat rappelle aussi: «Il n’y a pas eu de tir. Le seul blessé, c’est lui.» Le tribunal fera connaître sa décision ultérieure­ment.

«Le Ministère public genevois ne laisse plus passer les cow-boyeries et autres fantaisies policières»

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