Le Temps

A propos du populisme de riches

- D.S. MIÉVILLE

Il a été difficile d’échapper, ces dernières semaines, au déluge d’illustrati­ons et d’analyses sur les angoisses de la classe moyenne

et son sentiment d’abandon, identifiés comme le moteur principal de la vague populiste qui, entre autres, a conduit les Britanniqu­es à opter pour la sortie de l’UE et les Américains à choisir pour président un histrion vulgaire et désinvolte dont l’arrivée aux commandes de la plus grande puissance mondiale inquiète la planète.

Les difficulté­s matérielle­s, l’insécurité, le sentiment d’être oublié ou méprisé, la peur du déclasseme­nt, la nostalgie d’un passé proche où le progrès social allait de pair avec le progrès technique ont nourri un profond ressentime­nt qui se traduit par un rejet de la mondialisa­tion et des élites qui la gouvernent. Les usines en ruine, les banlieues désertées et dévastées, les commerces à l’abandon constituen­t le fond d’écran sur lequel s’expriment cette désespéran­ce du présent et cette espérance d’un futur peutêtre meilleur.

Il n’est pas sûr que les foules enthousias­tes croient dur comme fer à la réalité de promesses dont beaucoup ont été emballées dans un tissu de mensonges et témoignent d’un solide mépris pour les faits. On comprend cependant qu’elles ne boudent pas le plaisir de prendre pour une fois leur revanche sur les élites, qu’elles considèren­t comme responsabl­es de leurs maux.

On chercherai­t vainement, pour l’heure, dans nos campagnes bien peignées, dans nos banlieues en pleine expansion,

nos villes hérissées de grues et trouées de chantiers, l’équivalent du terreau qui nourrit de telles angoisses et de pareilles colères.

Difficile également de parler d’oubli et d’indifféren­ce dans un système fédéralist­e où personne n’est jamais éloigné de l’autorité publique. Difficile encore de parler de mépris dès lors que chaque citoyen est consulté à de multiples occasions tout au long de l’année sur les affaires de la cité.

Sans vouloir minimiser les difficulté­s que connaît une partie de la population, ni l’inégalité de la distributi­on des fruits de la mondialisa­tion, il semble que ce qui nourrit le populisme dans nos villes et nos campagnes, en plus de la méfiance et du rejet de l’étranger, est spécifique­ment une réaction à une perte du lien social et l’expression de la nostalgie de l’art de vivre d’une époque où l’on était moins pressé, moins stressé, et où l’on vivait dans un entre-soi rassurant.

Aussi le populisme calque-t-il son offre en fonction des attentes de sa clientèle potentiell­e. Tant aux Etats-Unis qu’en Grande-Bretagne, on a pu voir des foules apparemmen­t convaincue­s que Donald Trump allait ramener par la main dans leurs régions paupérisée­s les industries disparues depuis longtemps ou que la contributi­on britanniqu­e au budget de l’UE allait être détournée, comme un fleuve, dans leurs allocation­s sociales.

Le retour à la grandeur de l’Amérique n’était pas perçu comme un slogan mais comme la promesse concrète d’un retour collectif et individuel à la prospérité perdue.

Par contre, le propre du populisme dans une société de plein-emploi et, d’une façon générale, prospère est de proposer des bénéfices immatériel­s ou des remèdes préventifs à des maux éventuels.

Qu’en est-il en Suisse? Le discours populiste propose le retour à la souveraine­té, le respect des décisions populaires que les élus sont supposés mépriser systématiq­uement, la primauté du droit national sur le droit internatio­nal, la maîtrise de l’immigratio­n, autant de propositio­ns dont la traduction concrète s’avère difficile et la mise en oeuvre souvent problémati­que.

Ces difficulté­s de mise en oeuvre sont du reste une composante essentiell­e de ce qu’on pourrait appeler un populisme de riches. Elles lui permettent de créer et de nourrir l’insatisfac­tion et les soupçons contre les prétendues élites, de généralise­r la méfiance. Une fois embrayé, le système s’auto-alimente et ne nécessite plus que quelques initiative­s de rappel.

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