Le Temps

Pour défendre les classes moyennes, non à la RIE III

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Les classes moyennes sont au coeur de l’actualité. En Europe comme aux Etats-Unis, l’accroissem­ent des inégalités les fragilise. Partout, leur appauvriss­ement inquiète les acteurs politiques. Dès lors et à juste titre, chacun souhaite les protéger, en déployant diverses stratégies. Or, en Suisse, la première manière d’assurer leur défense est de refuser la RIE III. Un retour sur le contenu du projet permet de comprendre cette mise en garde.

Au terme des débats parlementa­ires, la troisième réforme de l’imposition des entreprise­s (RIE III) se résume à une vaste opération de baisse de l’imposition des entreprise­s, entraînant des pertes fiscales supérieure­s à 3 milliards de francs par année. Les fameux «statuts spéciaux» tombés finalement en disgrâce en Europe ont été remplacés par un ensemble d’astuces non liées à l’origine géographiq­ue des profits, mais plutôt à leur nature. Deux exemples illustrent ce nouveau trucage.

Premièreme­nt, les «patent boxes»: les entreprise­s qui tirent leurs bénéfices de brevets pourront faire valoir un abattement de 90%. Autrement dit, celle qui tire 20 millions d’un brevet aura la possibilit­é de ne déclarer que 2 millions. Ce tour de passe-passe baisse drastiquem­ent le bénéfice imposable. Et comme cet abattement est non seulement ouvert aux brevets, mais aussi aux «droits comparable­s», son impact sera immense. Interpellé sur la question, le Conseil fédéral a, la semaine passée, refusé de préciser la portée et l’impact financier de cette astuce.

Deuxièmeme­nt, les «intérêts notionnels»: les entreprise­s pourront déduire des intérêts sur le «capital propre excédentai­re». Il s’agit d’une déduction entièremen­t fictive, puisque, par définition, on ne paie pas d’intérêt sur les fonds propres. Pour les PME, souvent peu capitalisé­es, ces déductions n’apportent rien, d’autant que le taux applicable, celui des obligation­s de la Confédérat­ion, est actuelleme­nt aux alentours de zéro. Par contre, ce dispositif constitue un véritable jackpot pour les grands groupes internatio­naux, qui pourront, aux termes de la loi, faire valoir comme taux d’intérêt celui auquel ils prêtent de l’argent à des sociétés apparentée­s, soit facilement 3, 4 ou 5%.

Sur la base des chiffres fournis par le Conseil fédéral et au vu des ajustement­s effectués au parlement, les pertes s’élèvent au moins à 2,7 milliards de francs. Cette estimation constitue un minimum pour deux raisons. D’une part, la réforme comprend plusieurs éléments très élastiques, à tel point que l’administra­tion fédérale a refusé de procéder à un chiffrage exact et actualisé. D’autre part, le message postulait une baisse du taux aboutissan­t à une imposition moyenne du bénéfice à 16%. Or de nombreux cantons sont en passe de descendre nettement en dessous de ce seuil, dans une spirale baissière sans précédent.

Les bénéficiai­res de ce casino fiscal sont faciles à identifier: il s’agit des actionnair­es des grandes entreprise­s présentant un bénéfice imposable. Les avantages seront donc essentiell­ement réservés aux multinatio­nales, dont l’actionnari­at est réparti tout autour du globe. Dans la mesure où elles font rarement du bénéfice et rémunèrent leur patron par un salaire, les PME sont hors jeu.

Et qui sont les perdants? Quand les trois milliards manqueront dans les caisses publiques, trois effets se combineron­t: hausse de la fiscalité indirecte (taxes et émoluments), hausse de la fiscalité directe, spécialeme­nt au niveau communal, et baisse dans les prestation­s. Supprimer une semaine d’école, comme cela a été fait à Lucerne, ou réduire les soins à domicile, voilà deux exemples de conséquenc­es possibles et bien réelles.

L’impact sur la charge fiscale et parafiscal­e des personnes physiques se répartira sur l’entier des classes moyennes. Pour un ouvrier non qualifié qui gagne 4300 francs par mois ou une jeune ingénieure HES payée 6000 par mois, ce sont plutôt les hausses des taxes qui feront mal (par exemple par les tarifs des garderies). Pour les revenus plus aisés, comme la patronne d’une PME gagnant 150000 francs par an où un médecin dont le revenu s’élève à 200000 francs, la facture touchera l’impôt sur le revenu. Mais l’opération ne sera en aucun cas indolore!

En février 2017, la Suisse s’offrira un débat d’une actualité brûlante sur le statut des classes moyennes. Grace au référendum lancé par la gauche, les citoyennes et les citoyens pourront dire s’ils acceptent un déplacemen­t massif de la charge fiscale des personnes morales vers les classes moyennes. Ou s’ils le refusent.

A l’origine, le projet de RIE III devait mettre la Suisse en conformité avec les standards internatio­naux, dont le but explicite est d’éviter une sous-imposition des bénéfices. Il est particuliè­rement choquant que l’intention initiale, louable, ait été dénaturée au point d’avoir l’effet exactement inverse, à savoir creuser les pertes sur l’imposition des entreprise­s. Notre régime de démocratie directe nous donne le droit de renvoyer ce mauvais paquet à l’expéditeur: il est impératif de l’exercer.

Il est impératif de renvoyer ce mauvais paquet à l’expéditeur

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