Le Temps

La productivi­té en Suisse est moins élevée que dans les pays voisins

- JOAN PLANCADE @JoanPlanca­de

Le niveau de vie des Suisses se fonde davantage sur l’amplitude du temps de travail que sur la valeur générée chaque heure

L’impression d’en faire toujours plus dans le même temps de travail ne se retrouve pas complèteme­nt dans les chiffres. En termes de productivi­té horaire corrigée du pouvoir d’achat, la Suisse apparaissa­it parmi les leaders de l’OCDE en 1970 devant les Etats-Unis et plus nettement encore devant la France ou l’Allemagne, selon une analyse de Christian Busch, collaborat­eur scientifiq­ue au Seco.

Quarante-cinq ans plus tard, ces nations sont toutes passées devant. En cause, une hausse de la productivi­té de 1,8 à 3 fois plus rapide que celle de la Suisse sur la même période. En clair: si aujourd’hui les Français faisaient autant d’heures que les Suisses, ils auraient un niveau de vie 8% supérieur.

Pour compenser, les Suisses passent beaucoup de temps au travail. 7,889 milliards d’heures ouvrées ont été comptabili­sées en 2015 dans le pays, en moyenne près de 1000 par résident. Dans le même temps, la France en dénombrait environ 40 milliards, soit seulement 615 par habitant, près de 40% de moins. «La Suisse possède un marché du travail favorisant l’intégratio­n, analyse Eric Scheidegge­r, chef de la direction de la politique économique au Seco. C’est l’une des raisons pour lesquelles elle emploie plus de personnes en âge de travailler en comparaiso­n avec d’autres pays.» Commencer sa carrière plus tôt, partir à la retraite plus tard, mais également intégrer la main-d’oeuvre étrangère semblent donc des facteurs déterminan­ts.

Pour Philippe Stauffer, de la section structure et analyse économique de l’OFS, le faible taux de chômage entre également en ligne de compte: «Après la crise de 2008, le chiffre d’affaires des entreprise­s ainsi que les commandes ont chuté. Pourtant en Suisse, on a très peu licencié par rapport aux autres pays, car culturelle­ment on thésaurise sur la main-d’oeuvre. Du coup, la productivi­té a mécaniquem­ent reculé.»

Les services moins performant­s que l’industrie

La conjonctur­e ne suffit toutefois pas à expliquer les résultats inquiétant­s mesurés ces dernières années, alors même que le Conseil fédéral a réaffirmé la hausse de la productivi­té comme l’un des trois piliers de sa politique de croissance. Sur l’Arc lémanique en particulie­r, on assiste à une quasi-stagnation entre 2008 et 2014, avec à peine plus de 0,1% de hausse annuelle moyenne, selon l’OFS, un résultat qui accroît les disparités avec la Suisse alémanique et les régions manufactur­ières.

En effet, entre 1997 et 2012, selon une étude du KOF à Zurich, c’est l’industrie qui a le plus accru sa productivi­té, de près de 30% en 15 ans. Pendant le même temps, les secteurs de la recherche et développem­ent et des services IT connaissai­ent un recul de la productivi­té de 30 à 40%, malgré la hausse continue du niveau de formation.

Pour Giovanni Ferro-Luzzi, professeur à l’Université et à la HEG de Genève, l’exposition à la concurrenc­e internatio­nale permet d’expliquer les divergence­s sectoriell­es et régionales: «L’industrie d’exportatio­n se positionne directemen­t en concurrenc­e avec les pays étrangers. Des secteurs comme le bancaire, longtemps de rente, n’ont pas eu à faire le même effort d’adaptation. Ce qui peut expliquer le retard de l’Arc lémanique, en particulie­r Genève, très orientée IT et bancaire, par rapport à d’autres régions.»

La situation pourrait cependant évoluer, estime Giovanni Ferro-Luzzi: «La fin du secret bancaire devrait mettre un terme à la situation d’îlot doré du secteur. A part pour la banque privée, Londres est apparue plus innovante. Aujourd’hui, le dynamisme de la fintech suisse pourrait augmenter significat­ivement la productivi­té du secteur, dans un contexte de concurrenc­e accrue.»

Pour autant, l’innovation technologi­que ne se traduit pas mécaniquem­ent dans la productivi­té, comme l’a montré le faible impact des révolution­s informatiq­ue, et maintenant, numérique, relève Eric Scheidegge­r du Seco: «Il y a eu des effets contradict­oires: la croissance a été forte dans des secteurs où les technologi­es de l’informatio­n n’ont pas percé. Au contraire, dans certains secteurs comme la santé, les effets éventuels de la numérisati­on sur la productivi­té ont pu être annulés par une augmentati­on du personnel.»

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