Responsabili… quoi?
Les familles de droite fabriquent souvent des enfants de droite. Et celles de gauche des enfants de gauche. Marx et Bourdieu parleraient de reproduction sociale, les biologistes de mimétisme et ma grand-mère vous dirait que ça tombe sous le sens. Ayant grandi moimême dans une famille bipolaire, j’ai dû me débrouiller, petit, pour comprendre comme un grand ce qu’étaient la gauche et la droite, c’est-à-dire pourquoi le repas du soir finissait toujours en pugilat.
En comptant les points, je me suis rapidement fait une vague idée: l’égalité, la solidarité et l’idéal, c’étaient des trucs de gauche; la responsabilité, l’autorité et le réel, des machins de droite. Du coup, à l’heure de la confrontation (juste avant le dessert), la gauche «désespérément dogmatique» finissait toujours par exaspérer la droite «tragiquement pragmatique». Et réciproquement.
Cette grille de lecture intuitive aura tenu trois décennies. Précisément jusqu’au débat genevois sur le budget 2017. Qui oblige l’adulte que je suis devenu à demander pardon à l’enfant que je suis encore: désolé, petit bonhomme, on avait tout faux. Le dogme reste désespérant, mais il a changé de camp. En tout cas sur les bancs du Grand Conseil.
Le Conseil d’Etat (de droite) avait pourtant joué sa partition. A l’aube de la troisième réforme de l’imposition des entreprises, il proposait un budget rouge pâle, ni austère ni généreux, censé créer les conditions du consensus. Une stratégie à ce point gagnante que la gauche semblait apprivoisée. La droite, elle, n’avait plus qu’à faire semblant de s’offusquer d’un petit déficit, en attendant le jackpot fiscal, l’an prochain.
C’était compter sans les députés PLR. Dont la rigidité doctrinaire ferait passer le régime nord-coréen pour la Compagnie créole. Brandissant la dette comme d’autres agitent un Petit Livre rouge, les ayatollahs de l’équilibre ont décidé de s’asseoir sur toute espèce de sens des responsabilités, exigeant des économies de bout de chandelle au nom d’une orthodoxie stérile. Budget refusé en commission, et promesse de guérilla parlementaire.
Nos chers libéraux-radicaux savent qu’ils peuvent s’offrir ce petit frisson idéologique parce que d’autres – les idéalistes d’hier – sont pragmatiques à leur place. La gesticulation restera donc probablement sans conséquence. Elle autorisera pourtant tout le monde à mourir de rire la prochaine fois que s’élèvera, des rangs du PLR, un vibrant appel à la raison.