Le Temps

Une alerte au djihadisme inquiète Champ-Dollon

L’Etat islamique enregistre des pertes territoria­les, mais la menace ne diminue pas pour autant en Suisse. En deux ans et demi, le nombre de voyageurs du djihad recensés par les autorités a doublé. Les cas dénombrés sur Internet explosent

- LISE BAILAT, BERNE @LiseBailat

Un détenu irakien à qui des gardiens prêtaient des déclaratio­ns pouvant le faire passer pour un recruteur de l’EI a été mis à l’isolement. La police judiciaire fédérale s’est déplacée: les soupçons n’ont pu être confirmés

Appels à la prière diffusés dans une cellule, conversati­ons mentionnan­t Daech, détenus qui le désignent comme étant un recruteur de combattant­s: ce ressortiss­ant irakien de 33 ans a été envoyé en régime de sécurité renforcée pour avoir créé un danger au sein de la prison de Champ-Dollon, a appris Le Temps. Après enquête, il s’est avéré que l’intéressé n’avait vraisembla­blement pas les capacités nécessaire­s pour embrigader quiconque.

Le cas indique néanmoins que les prisons se soucient du phénomène de la radicalisa­tion, même s’il est difficile à repérer. Indice de cette inquiétude: un cours organisé au Centre suisse de formation pour le personnel pénitentia­ire et censé donner les clés suffisante­s pour mettre au jour les signes de radicalisa­tion fait régulièrem­ent le plein de candidats depuis deux ans.

En parallèle, la Confédérat­ion a détaillé hier les résultats du troisième rapport Tetra sur la lutte contre le terrorisme à motivation djihadiste. Résultat: malgré les pertes territoria­les de l’Etat islamique, le courant de voyageurs suisses du djihad ne faiblit pas.

L’Etat islamique (EI) a beau reculer sur ses terres, ses ramificati­ons en Europe restent préoccupan­tes. En Suisse aussi. «La menace ne diminuera pas, malgré les pertes territoria­les de l’EI», a affirmé mardi à Berne Markus Seiler, le directeur du Service de renseignem­ent de la Confédérat­ion (SRC).

De 2001 jusqu’en février dernier, 83 voyageurs motivés par le djihad ont été recensés par le SRC. Mais une nette accélérati­on des départs s’est produite depuis deux ans en demi. Alors que l’Etat islamique déclinait progressiv­ement – il aurait perdu 60% de ses territoire­s en Irak depuis 2014 –, dans le même temps le nombre de voyageurs du djihad partis de Suisse dans des zones de conflit, majoritair­ement la Syrie et l’Irak, doublait.

Comment expliquer ce paradoxe apparent? Dévoilé mardi, le troisième rapport Tetra sur la lutte contre le terrorisme à motivation djihadiste en Suisse parle de l’attrait d’une certaine criminalit­é «low cost» et de la difficulté de lutter contre des acteurs non étatiques. Même si l’EI enregistre des défaites, même si la plupart des voyageurs du djihad ne reviennent pas (sur 83 personnes parties de Suisse, 22 sont décédées), la propagande de l’EI et d’autres groupes de la même mouvance continue de produire ses effets parmi la population cible. Le profil type? Il s’agit plutôt de jeunes, note le rapport, «parfois convertis, issus de familles stables, souvent petits criminels, peu formés, un peu paumés». Ils n’ont qu’un seul point en commun: «Tous ont une rupture dans leur biographie.»

Où commence la propagande?

Mais il n’y a pas que les personnes qui se rendent dans les zones à risques qui inquiètent les autorités. Trois autres statistiqu­es viennent compléter ce chiffre de 83 voyageurs présumés du djihad. La première concerne la Toile: 497 internaute­s ont été repérés par le Service de renseignem­ent de la Confédérat­ion en lien avec le djihad l’an dernier. Ils étaient 300 en 2014. Ces personnes ne représente­nt pas toutes une menace concrète pour la sécurité, mais elles prônent l’idéologie djihadiste ou se connectent avec des individus qui défendent ces idées. La plupart des 60 procédures pénales en cours aujourd’hui par rapport à la lutte contre le terrorisme à motivation djihadiste concernent d’ailleurs des cas de propagande, relève le procureur général de la Confédérat­ion, Michael Lauber. Ainsi l’enquête ouverte contre les dirigeants du Conseil central islamique suisse (CCIS) de Nicolas Blancho. Le Ministère public de la Confédérat­ion veut savoir jusqu’où va la liberté d’expression et où commence la propagande.

Sept fois plus d’interdicti­ons d’entrée

La deuxième statistiqu­e se rapporte aux interdicti­ons d’entrée prononcées par la police fédérale. Elles étaient sept fois plus nombreuses en 2016 qu’en 2015. Pour trois raisons: la menace s’est précisée, mais la coopératio­n internatio­nale s’est aussi améliorée comme la coopératio­n à l’intérieur du pays. Il est plus difficile pour un ressortiss­ant étranger – auquel le territoire suisse peut être interdit en cas de soupçons importants – de passer entre les mailles du filet.

La troisième statistiqu­e qui achève le tableau concerne la filière asile. Le nombre de dossiers passés au crible par le SRC a plus que doublé en deux ans. Il s’est élevé à 5202 cas l’an dernier. Un risque sécuritair­e potentiel a été détecté dans 14 cas. Dès mai, le Service de renseignem­ent établira une nouvelle statistiqu­e pour englober toutes «les personnes à risques», en lien avec la radicalisa­tion.

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(ALESSANDRO DELLA VALLE/KEYSTONE) La présentati­on du troisième rapport sur la lutte contre le terrorisme à motivation djihadiste.

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