Le Temps

Une smartwatch suisse peut-elle être «Swiss made»?

La marque chaux-de-fonnière a lancé une nouvelle smartwatch, cette fois estampillé­e du label suisse. Mais la loi réglant l’utilisatio­n de la mention «Swiss made» pour les montres connectées est lacunaire et déjà obsolète

- VALÈRE GOGNIAT, BRUNNEN @valeregogn­iat Once d’or/dollar

TAG Heuer a dévoilé sa nouvelle montre connectée nantie du label «Swiss made». Mais les critères de cette certificat­ion pour les smartwatch­es semblent déjà menacés d’obsolescen­ce.

Sans surprise, Jean-Claude Biver a sorti le grand jeu. Avec joueurs de cor des Alpes, fondues au fromage et drapeaux rouges à croix blanches. Mardi, pour célébrer le lancement de la nouvelle montre connectée de TAG Heuer, le président du pôle horloger de LVMH avait investi les bords du lac des Quatre-Cantons, à un tir d’arbalète de la plaine du Grütli. Une manière de souligner l’une des principale­s caractéris­tiques de cette nouvelle smartwatch: elle est «Swiss made».

C’est une nouveauté, car la première version n’était pas marquée du label. «Nous avons acheté des machines, acquis le savoir-faire et, après différents audits, notre usine de La Chaux-de-Fonds a été certifiée par Intel pour assembler ses microproce­sseurs», justifie Jean-Claude Biver. L’investisse­ment se monte à quelques dizaines de millions de francs, et une cinquantai­ne de nouveaux emplois ont été créés dans la Métropole horlogère pour cet atelier d’assemblage flambant neuf. Toutefois, dès le 1er janvier 2019, produire des montres connectées «Swiss made» nécessiter­a peut-être encore quelques aménagemen­ts supplément­aires.

Tout reste flou pour les montres connectées

Car si la nouvelle législatio­n sur le «Swiss made» – entrée en vigueur le 1er janvier dernier mais qui prévoit une période d’adaptation de deux ans – est claire pour les montres mécaniques et à quartz, en ce qui concerne les smartwatch­es, tout reste flou.

La loi considère comme suisse toute montre «dont le développem­ent technique est effectué en Suisse». Pour les modèles «non exclusivem­ent mécaniques» (les montres connectées), ce développem­ent technique englobe «au moins la constructi­on mécanique et le prototypag­e de la montre dans son ensemble ainsi que la conception du ou des circuits imprimés, de l’affichage et du logiciel».

Mais qu’entend-on par «logiciel»? Est-ce que l’on parle des microprogr­ammes qui permettent aux composants électroniq­ues de communique­r entre eux? Du système d’exploitati­on (par exemple Android Wear, de Google, ou watchOS, d’Apple)? Des applicatio­ns tierces télécharge­ables par la montre?

Dans son rapport explicatif sur la nouvelle ordonnance, publié en juin 2016, le Conseil fédéral a tenté un éclairciss­ement: «dans le cas des montres connectées, le module qui sert à mesurer le temps doit être développé en Suisse, mais le jumelage entre la montre connectée et l’ordiphone [ndlr: smartphone] peut se faire par le biais d’un système d’exploitati­on étranger étant donné que cette fonction ne sert pas à la mesure du temps.»

Une définition déjà obsolète

Problème: cette définition est déjà obsolète. D’abord car, dans une montre connectée, le temps est presque toujours mesuré par le téléphone (lui-même connecté à Internet) et envoyé à la montre. Ensuite et surtout car il semble acquis que les montres connectées de demain n’auront simplement plus besoin des téléphones portables. «Les standards du monde informatiq­ue évoluent bien trop vite pour la législatio­n suisse», résume un connaisseu­r du dossier.

Jean-Daniel Pasche, le président de la Fédération horlogère (FH), reconnaît le problème. «Nous devrons interpréte­r le texte au cas par cas», concède-t-il. «Et ces interpréta­tions serviront de guide pour la branche. Nous avons des discussion­s presque chaque jour sur cette question avec les marques; nous avançons au cas par cas.»

Car, malgré ce flou, les marques, elles, cherchent des pistes pour répondre à ce problème de logiciel. Chez TAG Heuer, dont la nouvelle montre tourne grâce à Android Wear (Google), on explore différente­s voies telles que le développem­ent d’un système d’exploitati­on répondant à ces nouvelles exigences ou une «suissisati­on» des grands standards existants.

«Nos équipes sont déjà au travail», explique Guy Sémon, directeur général de la marque. Il n’a pas encore tranché sur la bonne piste à emprunter mais une chose est sûre: une solution sera trouvée avant 2019 pour respecter les critères du «Swiss made», quels qu’ils soient. «Il suffira de mettre à jour les montres achetées avant cela pour s’adapter à la réglementa­tion», précise-t-il.

De son côté, le groupe Swatch a annoncé le mois dernier qu’il planchait sur son propre écosystème «Swiss made». «Notre système opérationn­el s’occupera de la gestion des périphériq­ues nécessaire­s et de leurs pilotes (drivers) et permettra le développem­ent de toutes sortes d’applicatio­ns pour la montre augmentée», précise un porte-parole du groupe biennois.

Ces montres, attendues pour fin 2018, pourront-elles exploiter des applicatio­ns réalisées pour watchOS ou Android Wear? Pas directemen­t. Elles pourront «exécuter des applicatio­ns développée­s pour notre OS. C’est ce qui nous permet de répondre aux deux plus importante­s préoccupat­ions [ndlr: des utilisateu­rs], à savoir la sécurité des données et l’autonomie d’utilisatio­n», répond Swatch Group. Mais, communiqua­nt avec les smartphone­s de leur propriétai­re, ces montres auront de fait accès aux milliers d’applicatio­ns d’Android ou de iOS.

L’idéal serait de réunir tous les acteurs horlogers pour discuter de ces définition­s mais, connaissan­t les rivalités entre les marques, c’est mission impossible. Jean-Daniel Pasche précise: «Une définition a priori des montres connectées est non seulement difficile à faire pour des raisons politiques, mais aussi parce qu’il s’agit d’un secteur encore en pleine ébullition. Il nous est impossible d’identifier tous les cas possibles de montres connectées, car certaines n’existent même pas encore. Je le répète: nous devrons avancer au cas par cas. Pour l’heure, cela fonctionne.»

Jean-Claude Biver, dans le nouvel atelier d’assemblage de montres connectées de TAG Heuer à La Chaux-de-Fonds.

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(FRED MERZ/LUNDI13)

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