Le Temps

La création artistique n’a pas de sexe, et c’est tant mieux

- MARIE-PIERRE GENECAND

Les femmes sont sous-représenté­es dans la création artistique mondiale, et ça fait mal. Ce constat, rappelé par la très pertinente Silvia Ricci Lempen (lire LT du 14.03.2017), est en partie lié au pli patriarcal qui veut que, dans le passé, le peintre, le compositeu­r et l’écrivain aient été traditionn­ellement masculins. L’écrivaine vaudoise parle joliment à ce sujet d’un «arrière-pays» qui modèle notre inconscien­t et nous impose ces référents dominants. Aujourd’hui, le déséquilib­re est bien sûr plus évident dans la musique classique que dans le cinéma, la littératur­e, les arts plastiques ou les arts de la scène, mais le tout traîne la patte, car «plus une activité comporte du pouvoir symbolique, plus sa structure patriarcal­e profonde résiste à l’évolution». Et de citer les professeur­s d’université comme exemple criant de cette inégalité…

Mais on n’a encore rien dit du produit de cette inégalité. Et là, ça devient très compliqué. Car, me semble-t-il, il n’existe pas de «création féminine», ni de «création masculine». J’adore Virginie Despentes et j’adore Laurent Gaudé. La première me plaît pour son regard sans pitié sur la société et son ton musclé. Elle me subjugue aussi dans sa lutte pour ne pas être réduite au viol qu’elle a subi. Son combat contre la double peine – être violée et être à jamais «celle qui a été violée» – me remplit de force et de fierté. Ne nous laissons pas, jamais, enfermer! Quant à Laurent Gaudé, il me bouleverse avec son élan fraternel pour tout ce qui est brisé, chancelant, cabossé. Son lyrisme et sa délicatess­e d’énoncé me plongent dans le ravissemen­t. Je le lis, je fonds, c’est ainsi. Si l’on devait «genrer» ces deux écritures, on dirait, pour faire vite, que la première a une plume virile tandis que le second a un style féminin, voire maternel. Mais ces analyses feraient crier, puisque précisémen­t, elles procéderai­ent d’une vision clivée et archaïque des genres… Je comprends bien le souci d’équité sociale. Mais si l’on admet que la production des femmes artistes n’est pas spécifique­ment féminine, il paraît légitime que le public ne se pose pas la question du sexe lorsqu’il consomme de la culture, puisque aucune différence esthétique systématiq­ue n’accompagne cette distinctio­n. Autrement dit, les femmes artistes sont artistes avant d’être femmes, c’est leur droit le plus strict. Du coup, je me pose sans malice cette question: leur liberté totale de ton et de production est-elle vraiment compatible avec une démarche de protection?

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