Le Temps

«La scène politique se polarise vers la droite et la gauche»

- PROPOS RECUEILLIS PAR BORIS MABILLARD, AMSTERDAM @bmabillard

Les Pays-Bas votent ce mercredi pour élire leurs députés. Ce scrutin aura valeur de test: le parti populiste de Geert Wilders deviendra-t-il la première formation politique du pays?

Geert Wilders et son Parti de la liberté (PVV) ne sont plus donnés gagnants aux élections législativ­es néerlandai­ses qui ont lieu ce mercredi. Mais ils talonnent le parti du premier ministre, Mark Rutte. Ce scrutin s’inscrit dans une séquence, celle de la montée du populisme, qui a commencé avec le Brexit, puis l’élection de Donald Trump. Mais il pourrait aussi marquer le déclin, aux Pays-Bas, des partis traditionn­els: les libéraux, le centre gauche et les démocrates-chrétiens. En revanche, les partis aux deux extrêmes prospèrent. Vingt-huit partis proposent des candidats, un record, et chacun d’entre eux peut prétendre obtenir un siège au moins. Cela dit beaucoup de la dispersion annoncée des votes. Comme l’explique Matthijs Rooduijn, professeur de sociologie politique à l’Université d’Utrecht, à l’issue du scrutin, si les sondages se vérifient, le Parti populaire libéral et démocrate (VVD) de Mark Rutte aura du mal à former un gouverneme­nt de coalition sans solliciter cinq autres partis. Qu’il arrive premier ou deuxième, Geert Wilders n’entrera vraisembla­blement pas dans le prochain gouverneme­nt néerlandai­s, car presque tous les autres partis ont exclu de travailler avec lui.

Comment expliquer le succès annoncé de Geert Wilders? La popularité des partis islamophob­es n’est pas nouvelle. On voit depuis 2002 qu’une frange de l’électorat est tentée par l’extrême droite xénophobe. Mais ses scores électoraux dépendent du contexte et, aujourd’hui, il est propice au PVV. D’abord parce qu’avec la crise européenne des migrants, l’élection de Donald Trump et le vote en faveur du Brexit, les attentats, le débat public est focalisé sur la sécurité, l’immigratio­n et l’islam; des questions dont le parti de Geert Wilders réclame pour ainsi dire la propriété. Ce sont les seuls sujets dont il se préoccupe et, chaque fois qu’ils ressurgiss­ent dans le débat, il s’en saisit comme s’il était le seul à pouvoir en parler. Deuxièmeme­nt, Geert Wilders a habilement détourné le procès qui lui a été fait l’année dernière pour avoir attisé la haine raciale; la cour est devenue une tribune politique qu’il a instrument­alisée pour montrer combien il était victime – et ses électeurs avec lui – d’une machinatio­n orchestrée par les élites pour l’exclure. Le gouverneme­nt de Mark Rutte a-t-il fait le lit du PVV? Il essaie plutôt de le contrer en musclant son discours à l’égard des immigrés. Dans la lettre ouverte qu’il a envoyée récemment à de nombreux médias, Mark Rutte a enjoint aux résidents des PaysBas de se comporter correcteme­nt ou de quitter le pays. Il n’était pas fait ouvertemen­t référence aux étrangers, mais c’était clairement à eux que le premier ministre s’adressait. Ce faisant, ce dernier a nettement glissé vers les idées et le ton de Geert Wilders.

Mark Rutte est cependant à la tête d’un gouverneme­nt de coalition incluant la gauche et la droite… Cette situation qui, nécessaire­ment, aboutit à une politique de compromis a fait le jeu des partis aux extrêmes. C’est dans cette marge à droite que le PVV a prospéré. Peut-on parler d’une polarisati­on de la scène politique? Oui, dans la mesure où la Gauche verte (GroenLinks) recueille un fort soutien, près de 18 sièges selon les sondages. Le mouvement se fait dans les deux directions vers les extrêmes. Les groupes les moins éduqués sont de plus en plus attirés par les discours xénophobes et se radicalise­nt vers la droite. Quant aux couches les plus éduquées, elles tendent à devenir de plus en plus favorables aux migrants et votent à gauche. Dans les années 80, 2 ou 3 partis recueillai­ent la grande majorité des suffrages. Aujourd’hui, 7 partis principaux se partageron­t le gâteau. Avant, les partis du centre ou mainstream obtenaient 90% des votes, aujourd’hui ils vont en avoir entre 35 et 40%. ■

«Dans les années 80, 2 ou 3 partis recueillai­ent la grande majorité des suffrages. Aujourd’hui, 7 partis principaux se partageron­t le gâteau»

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MATTHIJS ROODUIJN PROFESSEUR DE SOCIOLOGIE POLITIQUE, UNIVERSITÉ D'UTRECHT

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