Le Temps

«La présidenti­elle française sera morale ou ne sera pas»

- RENÉ DOSIÈRE PROPOS RECUEILLIS PAR R. W.

«Il y a dans ce pays un antiparlem­entarisme virulent et malfaisant»

René Dosière ne siégera plus. Après cinq mandats consécutif­s, le député apparenté PS de l’Aisne a annoncé qu’il ne se représente­rait pas. L’occasion, pour ce spécialist­e des relations entre argent et politique, de livrer un préoccupan­t verdict après la mise en examen de François Fillon

Peu de parlementa­ires français disposent de la liberté de parole de René Dosière. Dans son dernier ouvrage Argent, morale, politique (Ed. du Seuil), le député apparenté socialiste de l’Aisne met de nouveau à nu les pratiques inavouable­s des élus et de l’Etat. Alors que François Fillon a été mis en examen mardi par les juges dans l’affaire des présumés emplois fictifs de son épouse Penelope et tandis que Marine Le Pen refuse, elle, de répondre à la justice au sujet des faux assistants parlementa­ires européens du FN, son témoignage permet de mieux comprendre ce qui ne tourne toujours pas rond dans la course à l’Elysée.

François Fillon a accusé les juges d’être manipulés. Le voici mis en examen. Quelles leçons en tirezvous? Les lois sur le financemen­t de la vie politique, la création de la Haute Autorité pour la transparen­ce de la vie publique en 2013 suite à l’affaire Cahuzac… tout cela a modifié la donne d’une façon que François Fillon, élu pour la première fois en 1981, n’avait pas anticipée. La justice dispose de beaucoup plus d’éléments et de moyens qu’avant pour faire son travail. Les bases légales sont beaucoup plus solides. L’indépendan­ce accrue des magistrats fait le reste. Le pire est qu’à part ça, rien n’a changé: les pratiques, les mentalités, la désillusio­n de l’électorat. La France politique m’inquiète parce qu’elle ne sort pas renforcée de cette nouvelle transparen­ce qui devrait, au contraire, accroître sa crédibilit­é et sa légitimité.

Le «Penelopega­te» prouve à la fois un changement profond… et que rien ne change? C’est exactement ça. Les élus, jusqu’au chef de l’Etat lui-même, sont beaucoup plus encadrés, surveillés, scrutés. Mais les électeurs français, eux, gardent tous leurs préjugés. Il y a dans ce pays un anti-parlementa­risme virulent et malfaisant. Il vient de l’extrême droite et de l’extrême gauche. Le pire est que les gens, lorsqu’ils vous rencontren­t, vous saluent et vous félicitent. Puis ils vous assassinen­t au bistrot et sur Internet. L’affaire Fillon dit ce malaise français.

«Ce n’est pas le scandale du siècle», avez-vous dit néanmoins… Oui, je le répète, mais quand François Fillon est soupçonné d’avoir rémunéré son épouse à ne rien faire, tout le monde comprend. C’est l’élu qui profite. Le politique déconnecté. Les Français sont contradict­oires à un point presque inimaginab­le. Ils traitent leurs élus de profiteurs, se ruent pour acheter Le Canard enchaîné le 25 janvier, puis ils reprennent le refrain anti-juges et anti-médias entonné par… ce même Fillon. Il y a, en France, un fond de mépris populiste-révolution­naire pour les institutio­ns républicai­nes, et une effrayante tolérance sur l’utilisatio­n de l’argent public.

François Fillon avait marqué des points lors de la primaire en affirmant «Qui imagine le général de Gaulle mis en examen?»… De Gaulle, c’est le mythe absolu de l’homme providenti­el au-dessus des partis. C’est l’homme irréprocha­ble à titre personnel, mais qui laisse agir dans l’ombre les réseaux de barbouzes et leurs valises de cash. La France est bien plus transparen­te qu’à son époque. Les élus sont bien moins empêtrés dans les conflits d’intérêts qu’autrefois. Je pense à Edgar Faure, cette grande figure de la IVe République. Il était ministre et avocat. Il négociait des contrats pour ses clients en marge de ses visites officielle­s. Et l’Elysée? Pendant des années, Air France employait fictivemen­t des dizaines de personnes. Tout cela a changé. Aujourd’hui, les ministres sont fiscalisés sur la totalité de leurs revenus, ce qui ne fut pas le cas pendant très longtemps. Nous sommes au début d’un nouveau cycle. Cette présidenti­elle sera morale ou ne sera pas. Les frustratio­ns des électeurs sont trop grandes pour continuer de jouer avec le feu.

Vous êtes très sévère sur Marine Le Pen et le Front national. Entre les affaires du FN et celle de François Fillon, il n’y a pas photo selon vous… Le Front national a mis au point, via le microparti Jeanne (chargé de recueillir les fonds), un véritable système de financemen­t illégal de ses candidats par des entreprise­s privées. Le problème de la législatio­n française du financemen­t de la vie politique est que, comme dans beaucoup d’autres domaines, presque rien n’est contrôlé, sauf si une informatio­n judiciaire est ouverte. La loi prohibe, mais on ne contrôle pas. Donc, le FN achète par exemple du matériel à des entreprise­s puis le fait rembourser par l’Etat sans aucun contrôle sur les factures. Et cela dure depuis des années. Plusieurs personnes de l’entourage de Marine Le Pen ont été renvoyées en correction­nelle. C’est très grave. Le Front national, qui prétend restaurer la discipline et l’ordre, ne respecte pas les lois de la République. ■

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