Le soi-disant djihadiste qui a troublé Champ-Dollon
Un détenu irakien a été placé en sécurité renforcée et interrogé par la police judiciaire fédérale. Les soupçons de radicalisation n’ont pas été confirmés. Une affaire qui illustre la difficulté de repérer les profils les plus inquiétants
Il a donné des sueurs froides à la direction de Champ-Dollon. Des appels à la prière diffusés à plein tube dans une cellule, des conversations mentionnant Daech et d’autres détenus qui le désignent comme étant un recruteur de combattants. B., ressortissant irakien de 33 ans, a été envoyé sans tarder en régime de sécurité renforcée pour avoir créé un danger au sein de la prison, a appris Le Temps. Les investigations menées par la police judiciaire fédérale n’ont toutefois pas permis de confirmer les soupçons de radicalisation et l’homme a pu sortir de son isolement. Une affaire qui révèle à quel point les autorités sont à cran et qui illustre aussi la difficulté de détecter les profils les plus inquiétants dans un univers carcéral miné par les règlements de compte.
Tout commence le 25 octobre dernier. L’Irakien, condamné à 3 ans de prison pour avoir participé à une agression au couteau et être entré illégalement sur le territoire, fait l’objet d’un premier rapport au directeur de la prison. Un gardien explique avoir entendu parler de l’Etat islamique dans l’atelier bibliothèque et s’être approché du groupe qui conversait. L’un des détenus confie alors avoir eu un problème à la cuisine avec B. qui tentait de le recruter pour aller combattre en Syrie en lui promettant des femmes et des vacances en Thaïlande. Après avoir refusé la guerre sainte, le dénonciateur se plaint désormais d’être désigné comme un pédophile et de devoir se déplacer avec son ordonnance de condamnation dans la poche pour éviter d’être malmené par les autres. Il confirme ce récit dans un courrier.
Le 27 octobre, un autre gardien rédige un rapport disant que B. s’est vanté d’être un terroriste et un recruteur. Deux nouveaux détenus affirment aussi avoir été menacés par l’intéressé. L’Irakien, interrogé par le directeur adjoint de la prison, conteste ces accusations et précise que s’il était véritablement un terroriste, il n’irait pas le raconter. Face aux déclarations concordantes de trois pensionnaires aux origines différentes (Roumanie, Venezuela et Bolivie), les dénégations de l’intéressé ne font pas le poids. Décision immédiate est prise de le placer en régime de sécurité renforcée pour trois mois, soit jusqu’à fin janvier 2017, afin de ramener le calme et éviter que des détenus soient soumis à des pressions et des mesures de rétorsion.
B. recourt contre cette décision devant la Chambre administrative, dénonce les mensonges proférés par ceux qui le mettent en cause et qualifie son isolement de mesure disproportionnée. Les juges confirmeront une «décision qui ne souffre d’aucune critique» tout en relevant que l’Irakien n’a eu cesse de vouloir troubler l’ordre de la prison, que plusieurs témoignages l’accablent et que l’autorité pouvait tenir ceux-ci pour avérés et intervenir sans attendre.
Lorsque cet arrêt tombe, le 13 décembre 2016, le soi-disant adepte de la terreur est pourtant déjà retourné parmi les autres détenus en raison de son évolution favorable. Avertie de l’existence de ce cas problématique, la police judiciaire fédérale avait aussi rapidement dépêché une équipe de la Division Enquêtes Terrorisme pour investiguer à la prison. Selon nos informations, B., interrogé le 30 novembre, est vite apparu comme un esprit fort peu capable d’embrigader quiconque. Son avocat, Me Boris Lachat, confirme: «Il n’y a pas eu de procédure pénale ouverte pour ces faits et le régime de sécurité renforcée a été levé dans les jours qui ont suivi.» Depuis lors, B. a été transféré à la prison voisine de La Brenaz et attend une décision sur sa libération conditionnelle.
Situation plutôt calme
Un autre détenu aurait pu susciter davantage de curiosité. Ce Haut-Savoyard, la trentaine dont un tiers passé dans les geôles françaises, a été condamné le 28 novembre dernier à 7 ans de prison pour des brigandages. Depuis son incarcération à Champ-Dollon, il s’est laissé pousser une longue barbe de fondamentaliste, n’a pas voulu se raser pour son procès et s’est tant prosterné que son front porte la marque de sa piété. Il a aussi commandé un tapis de prière pour un autre détenu. Dans cette prison surpeuplée, le Français occupe une cellule à lui tout seul mais ne fait l’objet d’aucune mesure. Le signe sans doute d’un problème de cohabitation. De source pénitentiaire, il n’y a aucun détenu actuellement à l’isolement en raison d’une radicalisation.
Comment repérer les éventuels radicalisés et surtout les personnes vulnérables? Les «muslim hardcore», selon l’expression favorite de certains policiers genevois qui se renseignent auprès de prévenus, ceux qui peuvent basculer ou ceux qui sont simplement gagnés par la foi en prison? «Il n’y a pas de profil type et il faut rester modeste en la matière», prévient le politologue Hasni Abidi. Ce spécialiste du monde arabe donne un cours sur ce sujet au Centre suisse de formation pour le personnel pénitentiaire. Un cours à option qui fera encore le plein pour la deuxième année consécutive. L’idée est de fournir des clés à tous les intervenants en prison pour leur permettre de repérer des signes révélateurs ou encore de gérer l’établissement de manière à prévenir l’émergence des extrémismes. Tout un programme. ▅