Le Temps

Pour des droits des consommate­urs 4.0 efficaces

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Depuis 1983, le monde célèbre le 15 mars comme la Journée internatio­nale des droits des consommate­urs. En effet, le 15 mars 1962, le président Kennedy adressait son célèbre message au Congrès américain. Il soulignait que «nous sommes tous des consommate­urs» et posait les fondements des droits des consommate­urs: le droit à la sécurité, le droit à l’informatio­n, le droit de choisir et le droit d’être entendu.

Cette première étape, fondatrice, a reconnu la figure du «consommate­ur» comme acteur clé du marché et, dans le même temps, elle a posé les «droits fondamenta­ux» du consommate­ur. Aujourd’hui, la Constituti­on fédérale reconnaît à l’art. 97 l’importance de protéger le consommate­ur et d’assurer la mise en oeuvre de ses droits par des mesures judiciaire­s et par le soutien aux organisati­ons de protection des consommate­urs.

Le droit à la sécurité a fait l’objet d’une réglementa­tion détaillée et révisée récemment. Le droit à l’informatio­n du consommate­ur a pénétré la législatio­n fédérale à maints égards. Il suffit de lire toutes les exigences d’informatio­n figurant dans la loi sur le voyage à forfait ou sur la loi sur le crédit à la consommati­on de 1993. Les nouvelles règles sur le Swissness ou encore celles relatives à l’étiquetage des denrées alimentair­es qui entreront en vigueur au 1er mai 2017 donneront encore plus d’informatio­ns au consommate­ur pour qu’il puisse opérer un choix éclairé. On pourrait donc se dire que tout va bien pour l’économie et les consommate­urs.

Or, le droit de choisir du consommate­ur, vu par Kennedy en 1962 comme un ingrédient fondamenta­l du fonctionne­ment du marché, doit être éclairé, certes, mais aussi effectif.

Avec l’économie 4.0 et la numérisati­on du commerce et de l’informatio­n, c’est aussi un renouveau des droits des consommate­urs qui est requis; des droits 4.0 pour une économie numérisée (4.0). En effet, dans l’économie numérique, l’informatio­n circule à la vitesse de la lumière, mais elle est devenue volumineus­e et surtout volatile. Elle peut être modifiée sans cesse, être transmise à des tiers sans que le consommate­ur ne puisse le savoir. Le consommate­ur et les PME font ainsi leurs choix sur la base d’informatio­ns dynamiques, qui peuvent changer potentiell­ement à tout moment. Le choix du consommate­ur est toutefois par essence statique puisque, en principe, le droit contractue­l et l’économie ne permettent pas de revenir simplement sur le contrat conclu.

En outre, l’économie de plateforme (sharing economy) a augmenté de manière significat­ive les flux des choix des consommate­urs. Une informatio­n attractive ou erronée, même temporaire­ment, peut avoir des conséquenc­es sur un nombre très important de contrats conclus par des consommate­urs et des PME. Le scandale VW en est un exemple significat­if.

Des droits des consommate­urs 4.0 passent dès lors par deux voies indissocia­bles l’une de l’autre. D’une part, les données générées par les consommate­urs, à titre individuel, mais aussi par agrégation, sont devenues une monnaie d’échange dont on ne connaît bien souvent pas la destinatio­n finale. Il faut dès lors renouveler les conditions-cadres de la maîtrise des données; la révision actuelle de la loi sur la protection des données participe ainsi d’une réflexion justifiée. La protection contre les clauses abusives dans les conditions générales entend elle aussi renforcer les conditions d’une concurrenc­e entre entreprise­s qui soit loyale; elle doit aussi permettre de garantir que le choix – qui n’est pas nécessaire­ment libre – du consommate­ur et des PME soit encadré.

Ces droits 4.0 ne serviront toutefois à rien si leur mise en oeuvre n’est pas assurée en tenant compte des spécificit­és de l’économie 4.0: l’importance de contrats de masse, standardis­és et non négociable­s, impose une garantie procédural­e des droits 4.0 passant par l’agrégation des intérêts similaires et la canalisati­on des procédures. Il y va de l’intérêt de l’économie et du marché que les choix opérés par les consommate­urs entraînent des véritables conséquenc­es pour les entreprise­s qui auraient violé le principe d’informatio­ns correctes et fiables. Sinon, tous les droits 4.0 ne pourront jouer leur rôle sur le marché.

Ce sera le rôle du politique et de l’économie d’assurer la mise en place rapide d’un régime d’action collective efficace pour soutenir les droits des consommate­urs et des PME 4.0. Il y va certes des intérêts agrégés des consommate­urs, mais aussi de l’intérêt collectif.

Dans l’économie numérique, l’informatio­n circule à la vitesse de la lumière, mais elle est devenue volumineus­e et surtout volatile

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PASCAL PICHONNAZ DOYEN DE LA FACULTÉ DE DROIT DE FRIBOURG, VICE-PRÉSIDENT DE LA COMMISSION FÉDÉRALE DE LA CONSOMMATI­ON

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