Attaque terroriste à Washington: la confiance gravement blessée
Il est sept heures à mon réveil quand je me lève le matin. C’est la première information sur laquelle je vais appuyer ma journée. Elle est vraie. D’une vérité qui n’est pas absolue puisque l’heure n’est pas la même l’été et l’hiver, mais consensuelle, c’est-à-dire que tout a été mis en oeuvre pour que je la tienne pour vraie. J’ai confiance en l’institution qui me donne l’heure.
J’allume la machine à café. Elle me réclame de vider le marc de la veille et de mettre de l’eau dans le réservoir. Je la crois. Je m’exécute. J’ai confiance: quand je suis OK avec elle, elle est OK avec moi.
Ma confiance dans le beurre, la confiture et le pain déposés sur la table résulte d’un patient travail d’investigation dans les magasins parmi tous les produits qui sollicitent mon adhésion sans forcément la mériter. Les denrées alimentaires sont la première épreuve de vérité de la journée: sont-elles bonnes pour la santé, bonnes au goût, au prix juste et produites honnêtement? La confiance en elles est fragile, une information peut la renforcer aussi bien que la détruire. Ça fait un coup d’apprendre qu’il n’y a pas toujours du lait dans le beurre. Comme il faut bien manger, j’ai appris à négocier avec l’incertitude, l’imperfection et le risque. En général, je m’en tire.
J’allume la radio pour écouter le journal. Je précise que si j’appuie sur le bouton RSR, j’aurai le journal de la RSR et pas celui de Fox News. C’est important à dire parce que l’automaticité de ma demande et de sa satisfaction est construite sur le principe de la confiance. La qualité de l’appareil peut ne pas être parfaite mais, en gros, il ne me trompe pas sur les sources.
De même, si je sélectionne le journal matinal, je reçois les informations du jour. Les événements et les personnages cités sont vrais. Il est connu que dans les rédactions, toute ressemblance avec le réel est encouragée. J’ai pleinement confiance dans la voix qui m’annonce un bouchon entre Lausanne et Morges.
Il est bientôt 9 heures, la confiance que j’ai mise dans les services industriels, le service communal d’évacuation des déchets, la chaufferie de mon immeuble, le passage du bus devant ma porte n’est pas mal placée. Tout le monde fait son boulot sur la base de contrats tenus pour vrais. La mauvaise humeur des clients en cas de défaillance atteste de cette vérité.
Je ne calcule plus le nombre de situations qui enclenchent robotiquement ma confiance durant les douze ou treize heures suivantes de ma journée. Je sais qu’on ne me rend pas de faux billets dans les magasins. Que l’instruction publique a à coeur d’élever l’intelligence de mes petits-enfants, même quand elle s’y prend mal. Que les services pompiers répondent à mon appel quand ça sent le brûlé chez moi, tout comme les services sociaux quand ma voisine a besoin d’aide. Que les élections ne sont pas truquées, etc. Tout cela représente un énorme investissement collectif de confiance qui se répète de jour en jour et d’année en année. Il s’appuie sur la reconnaissance par tous qu’il existe des faits vrais, aussi vrais qu’une pipe est une pipe. Je peux les aimer ou pas. Je peux en interpréter la signification, les juger selon les normes ou m’en moquer. Je ne peux pas les nier sans ébranler l’édifice de la confiance.
C’est pourtant ce que fait Donald Trump à la tête de l’institution suprême des Etats-Unis. Il est extraordinaire qu’en plus de ses laisser-aller de langage et de ses insultes, le gardien des références détruise systématiquement la crédibilité des institutions, cet ensemble de vérités factuelles et coutumières qui font des Etats-Unis une communauté politique. En multipliant les mensonges et en accusant ses adversaires de mentir, il sème le doute sur le vrai et le faux. Il abolit la différence d’airain entre la vérité et le mensonge qui permet l’expérience quotidienne de la confiance. «Die Kacke ist am dampfen», disent les Allemands quand ils sont en mauvaise posture. La merde fume. ▅