Le Temps

Geert Wilders, genèse d’un populiste

Figure centrale de la vie politique néerlandai­se depuis dix ans, l’élu aux cheveux peroxydés est guidé par un fil rouge: son aversion radicale pour l’islam, qui remonte à loin. Portrait

- JEAN-PIERRE STROOBANTS (LE MONDE)

La question est posée aux psychologu­es plus qu’aux politologu­es: qu’est-ce qui, chez Geert Wilders, le leader de la droite populiste néerlandai­se, a déclenché ce rejet viscéral de l’étranger, et du musulman en particulie­r? Peut-être cette agression par un groupe de jeunes Maghrébins qu’il aurait subie dans le quartier populaire et réputé «difficile» de Kanaleneil­and, à Utrecht, où il commença sa carrière politique comme conseiller municipal? Ou bien ses nombreux voyages dans les pays arabes au cours desquels il mesura, dit-il, «l’oppression grossière» des dictateurs? A moins que ce ne soit l’attentat contre le cinéaste Theo van Gogh, mort poignardé par un islamiste radical en 2004 à Amsterdam?

Il ne faut pas compter sur l’intéressé pour y voir plus clair dans ses pensées, visiblemen­t tortueuses. L’homme des anathèmes, des formules chocs, du message radical en 140 signes – sur le voile islamique («un torchon de tête»), l’Europe (un «Etat nazi»), les délinquant­s marocains («les terroriste­s des rues») ou les «villages de racailles» –, dans lesquels il entend isoler les délinquant­s récidivist­es, a toujours été discret, voire muet, sur lui-même, sur son passé, sur sa vie privée. Sur cette trajectoir­e qui a transformé un député relativeme­nt anonyme de la droite libérale en héraut populiste et xénophobe.

S’il utilise volontiers les médias, cet homme de 53 ans refuse toujours les débats, les questions critiques et les confrontat­ions trop directes. Il estime n’avoir rien à dire, ou si peu, aux autres formations, même si le système néerlandai­s des coalitions oblige au dialogue.

Wilders l’outsider sait aussi dicter sa loi à des rédactions toujours traumatisé­es par l’irruption du populiste Pim Fortuyn, à la fin des années 1990. Elles n’avaient pas vu venir ce raz-de-marée, qui s’acheva tragiqueme­nt par son assassinat en mai 2002, et se reprochent encore de ne pas avoir assez écouté, à l’époque, la «voix de la rue». Geert Wilders se pose, depuis la fondation de son Parti pour la liberté (PVV), en porte-parole du «peuple», et rares sont ceux qui osent, dès lors, le critiquer trop ouvertemen­t.

L’étonnante coiffure blond peroxydé servirait à masquer des origines asiatiques et une lignée où l’on retrouvera­it une arrière-grandmère musulmane

Sous haute protection

Dans la campagne discrète qu’il mène en vue des élections législativ­es du 15 mars, aux Pays-Bas, le dirigeant populiste a refusé presque toutes les invitation­s à participer à des confrontat­ions avec ses rivaux. Récemment, il a décliné celle d’une chaîne privée, sans doute parce qu’il lui reproche d’avoir révélé une part méconnue de sa personnali­té en interrogea­nt son frère, Paul.

Cet homme de 62 ans est sorti de l’ombre en décembre 2016. Après l’attentat sur le marché de Noël de Berlin, il avait posté, sur Twitter, un message accusant son cadet de semer la haine: Geert Wilders avait diffusé un photomonta­ge représenta­nt la chancelièr­e Angela Merkel avec du sang sur les mains. «Geert ne prend pas en compte les possibles conséquenc­es de messages pareils», lui reprochait son frère. Cela a, semble-t-il, consommé la rupture entre les deux hommes, qui ne se voyaient déjà plus qu’aux anniversai­res de leur mère.

«Geert est ainsi, il ne tolère aucune contradict­ion», poursuit Paul Wilders dans cette interview, publiée ensuite dans différents médias. Il décrit son frère comme très isolé depuis plus de douze ans et sa mise sous haute protection policière, vivant dans des maisons sécurisées avec son épouse, Krisztina, une ancienne diplomate hongroise. Sans doute «malheureux» et «recherchan­t le bonheur dans la politique», estime Paul Wilders, lui-même menacé en raison de son patronyme.

Insupporta­ble, inamical et cynique

Qui était le jeune Geert? «Un sale gamin, égocentriq­ue et agressif», explique Paul. Hostile – déjà – à toute idée de compromis, il faillit être bouté, à l’aube de l’adolescenc­e, hors de la maison familiale tant il était insupporta­ble.

A Venlo, sa ville natale, dans le Limbourg catholique, certains se souviennen­t d’un Geert «inamical et cynique», lisant Kierkegaar­d, dont il appréciait le plaidoyer pour l’individual­isme et la subjectivi­té, écoutant The Cure et les Sex Pistols, histoire de cultiver un côté rebelle.

Un autre mystère entoure les origines du personnage. Des historiens affirment que sa famille puise certaines de ses racines dans les Indes néerlandai­ses, ces territoire­s que le royaume contrôla jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. L’étonnante coiffure blond peroxydé du natif de Venlo servirait donc surtout à masquer des origines asiatiques et une lignée où l’on retrouvera­it une arrière-grand-mère musulmane.

Deux ans en Israël

C’est un séjour de deux ans en Israël, à la fin de ses études secondaire­s, qui aurait transformé l’adolescent Wilders en un adulte soudain intéressé par la politique. A ses yeux, Israël est aujourd’hui la dernière ligne de défense face à un islam conquérant, un bastion établi sur une faille qui pourrait déclencher le fameux «choc des civilisaFo­rtuyn tions». Il soutient donc fermement l’expansion territoria­le de l’Etat hébreu, où il aurait un temps songé à émigrer. Et il établit des parallèles entre les menaces pesant sur Israël et le projet qui viserait à transforme­r l’Europe en un «califat» grâce à l’aide des «54 millions de musulmans» vivant sur son territoire – ils sont, en réalité, 20 millions.

Pas nécessaire­ment hostile aux immigrés avant son départ, il se serait, une fois revenu, senti de plus en plus mal à l’aise, entre population­s turque et marocaine de son quartier d’Utrecht. Plus tard, jeune parlementa­ire, il se dira à ce point «menacé» lors d’une visite en Iran qu’il sautera dans le premier avion pour Amsterdam.

Elu député pour la première fois en 1998, il semblait s’accommoder, à l’époque, de l’alliance entre son parti, le Parti populaire libéral et démocrate (VVD, celui du premier ministre, Mark Rutte), et les sociaux-démocrates. Bien avant le 11 septembre 2001, il critiquait toutefois le gouverneme­nt pour son insoucianc­e face à la montée de l’islam radical, dont le message, diffusé dans certaines mosquées, semblait ne préoccuper personne.

L’irruption, très théâtrale, de Pim sur une scène politique jusque-là convention­nelle et compassée allait, au début du nouveau siècle, convaincre le député que les thèmes que lui-même mettait en avant – la question de l’intégratio­n, le risque d’islamisati­on et la dénonciati­on de la bien-pensance de ce qu’il nomme «l’Eglise de gauche» – résumaient les préoccupat­ions des Néerlandai­s. Il allait donc théoriser et radicalise­r le message du «tribun de Rotterdam».

De plus en plus critique vis-à-vis de la direction de son parti et consterné par la rapide autodestru­ction du parti de Fortuyn – celui-ci est tombé, en 2002, sous les balles d’un militant écologiste radical à Hilversum –, il rompt avec le VVD. Il fait alors fuiter un document critique pour ses dirigeants et saisit l’occasion de leur ralliement au projet d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne pour rompre, en 2004, avec le parti libéral. En février 2006, il porte le Parti pour la liberté sur les fonts baptismaux.

Redoutable habileté

Un parti, ou plutôt le mouvement d’un seul homme. Lui-même. Le Parti pour la liberté reste, onze ans plus tard, sans véritable structure, sans militant, sans argent – hormis peut-être celui qu’il recevrait de néoconserv­ateurs américains qui le voient comme l’un des rares Européens désireux de résister à l’islam. David Horowitz, créateur d’une fondation qui porte son nom et du site FrontPage Magazine, financier du blog Jihad Watch, est l’un de ses supporters. En 2012, Regnery Publishing, un éditeur très conservate­ur ayant publié, entre autres, Donald Trump, sortait Marked for Death, une autobiogra­phie de Wilders passée à peu près inaperçue en Europe. Ce courant a aussi soutenu le grand blond néerlandai­s lors des procès qui lui ont été intentés pour incitation à la haine. En 2008, pour son film Fitna, une dénonciati­on confuse du caractère «totalitair­e» du Coran. En 2016, pour son appel à «Moins de Marocains!» aux PaysBas. Le premier procès s’est soldé par un acquitteme­nt, le second par une condamnati­on, mais assortie d’aucune peine.

Doté d’une redoutable habileté et d’un incontesta­ble talent pour identifier ce qui agite les entrailles de citoyens réputés en colère, M. Wilders a su retourner ses démêlés judiciaire­s à son profit. Se présentant comme victime d’une cabale, il fédère les inquiets et les mécontents, galvanisés par ses propos chocs. Au fil du temps, le fondateur du PVV est d’ailleurs parvenu à élargir son champ d’action. Il ne s’adresse plus seulement aux «petits Blancs» et aux déclassés, diagnostiq­ue le sociologue Koen Damhuis.

L’auteur de Wegen naar Wilders («Les chemins vers Wilders», non traduit, Singel, 2017) a interrogé des citoyens séduits par le PVV. A côté d’électeurs venus de la gauche traditionn­elle, inquiets pour leur avenir et considéran­t les immigrés comme une menace, le sociologue a identifié deux autres groupes. Des self-made-men, petits entreprene­urs et gros travailleu­rs, qui estiment payer trop d’impôts et entretenir des étrangers vivant à leurs crochets. La troisième catégorie, la plus nouvelle, est celle des «idéologues», des diplômés et des nantis reprochant à leurs dirigeants de se soucier plus des Grecs endettés, des réfugiés ou des quartiers immigrés que des intérêts du peuple néerlandai­s, et séduits par un programme alternatif et radical visant à renverser l’ordre établi.

Habile, le candidat Geert Wilders s’adresse à tout le monde: il réclame, pour les plus pauvres, une baisse des loyers et une hausse des investisse­ments dans l’aide aux personnes âgées; pour les entreprene­urs, une baisse des taxes sur l’automobile; pour les plus riches, une diminution des impôts… Le tout enrobé dans un programme de défense de l’identité nationale et de «désislamis­ation»: fermeture des mosquées, interdicti­on du Coran – «le Mein Kampf des musulmans», dit-il – et défense d’entrée dans le royaume pour les ressortiss­ants de pays musulmans. «Il n’existe pas de véritable manuel du populiste moderne, mais on a parfois l’impression que Wilders aurait étudié attentivem­ent un tel manuel, analyse l’historien Maarten van Rossem. Il en domine à la perfection tous les leviers.»

Une vraie question demeure au sujet du protagonis­te de la «révolution nationalis­te» aux Pays-Bas: pendant combien de temps les électeurs suivront-ils un homme qui, après un éphémère soutien à une coalition de droite entre 2010 et 2012, s’est radicalisé et isolé, privant ainsi ceux qui le soutiennen­t de la perspectiv­e d’une accession au pouvoir?

 ?? (AP PHOTO/MUHAMMED MUHEISEN) ?? Geert Wilders s’adresse à tout le monde: il réclame, pour les plus pauvres, une baisse des loyers et une hausse des investisse­ments dans l’aide aux personnes âgées; pour les entreprene­urs, une baisse des taxes sur l’automobile; pour les plus riches,...
(AP PHOTO/MUHAMMED MUHEISEN) Geert Wilders s’adresse à tout le monde: il réclame, pour les plus pauvres, une baisse des loyers et une hausse des investisse­ments dans l’aide aux personnes âgées; pour les entreprene­urs, une baisse des taxes sur l’automobile; pour les plus riches,...

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland