A Nendaz, c’est la montagne qui a gagné
La face du Mont-Gond, qui devait être le théâtre de la 11e Nendaz Freeride, n’a pas résisté au minage matinal. Récit d’un événement sportif et festif, mais qui n’a pas eu lieu
7h30. L’heure H, celle du test. Un hélicoptère survole le Mont-Gond. Il lâche une première mine dans la pente. Rien ne bouge. Frissonnements de joie dans l’assemblée matinale de freeriders réunis au Plan-du-Fou, sur les hauteurs de Siviez (VS), samedi matin.
A la troisième mine, une avalanche emporte avec elle un bon tiers de la face et laisse mieux deviner le relief karstique perché à 2800 mètres d’altitude. Quelque 400 mètres plus bas, sur la terrasse du restaurant, les moues ont changé, la déception commence à se faire entendre. «Ma ligne! J’ai perdu ma ligne!» crie l’un des spectateurs de la scène. Il fait rigoler tous les autres.
Les prochaines mines ne font plus rire personne. Les avalanches s’enchaînent – cinq, sur les huit explosions. Des couches de 60, 80, parfois 100 cm dévalent la pente avec une certaine grâce.
Aucun doute. Mis à moitié nu, le Mont-Gond est impraticable. Il est 7h45, et l’édition 2017 de la Nendaz Freeride est annulée. Les membres du comité d’organisation sont dépités. Ils se tombent dans les bras. Presque douze mois de préparatifs viennent d’être anéantis par les coulées de neige.
Riz au curry pour tout le monde
La veille, ils y croyaient encore tous. La neige allait tenir. Vendredi soir, au Cabanon, dans le village de Nendaz, c’est le credo. On s’affaire. Podium, écran géant, dossards et micro. Les organisateurs de la Nendaz Freeride vont révéler les noms des freeriders qui ont «passé le cut». Au départ des qualifications, le vendredi, ils et elles étaient environ 115. Une quarantaine d’entre eux est qualifiée pour la finale du samedi.
Sur l’écran et au micro du speaker, les noms défilent. Des Suisses, des Français, des Autrichiens, des Espagnols, des Scandinaves, des Néo-Zélandais, une Chilienne ou un Argentin. Tous vont chercher leur dossard pour le lendemain, avant le passage obligé: raconter à deux bénévoles de quoi sera fait leur «run» final. «C’est pour améliorer le commentaire en live», justifie l’une d’elles, bloc-notes en main.
Dans un joyeux désordre, le cérémonial s’achève après 45 minutes. Le micro est posé. Le DJ et l’aprèsski reprennent leurs droits. Ce vendredi soir, c’est riz au curry pour tout le monde. Et bières pour (presque) tout le monde. Des odeurs de joints se dégagent aussi régulièrement de l’attroupement. Mais la soirée ne durera pas bien longtemps, pour la plupart des freeriders.
Samedi matin, rendez-vous est fixé à 6h45 à Siviez, au pied des télécabines. A 7h, tout ce petit monde est au restaurant du Plandu-Fou, à 2430 mètres d’altitude. Il y règne une atmosphère qui mélange tension, concentration, excitation et coolitude.
Chacun cherche son run
Le lever de soleil est superbe, mais les yeux sont rivés au sud, en direction du Mont-Gond. Chacun veut peaufiner son run, même si l’essentiel est déjà décidé.
Main en casquette, à l’aide de jumelles et de photos, «on prépare presque 100% de sa descente à l’avance. Cela me prend une aprèsmidi complète, témoigne Julien Arpin, un concurrent venu de Tignes. On peut éventuellement improviser sur la longueur d’une réception d’un saut, parce qu’on ne sait pas vraiment à quelle vitesse on va atterrir, explique le skieur français de 24 ans, qui a terminé 7e des qualifications. Mais la ligne, les virages, les sauts, tout est prévu.»
La Nendaz Freeride propose aussi aux concurrents de voir la face d’encore plus près. La veille, un drone a pris des photos en 360 degrés et un casque de réalité virtuelle leur permet d’examiner les détails de la pente sous tous les angles. Seuls quelques riders ont tenté l’exercice mais «ils sont tous bluffés. Cet outil sera incontournable d’ici à quelques années», parie Julien Falco, responsable de la prise en charge des athlètes.
Toute cette préparation aura été inutile, cette fois-ci. De l’aveu de Cyril Lanfranchi, le directeur de l’événement, cette annulation est une demi-surprise. Après la neige tombée en début de semaine, l’organisation avait fait le pari de miner la face au dernier moment, afin de laisser plus de temps à cette nouvelle couche pour se lier à l’ancienne. Pari perdu.
Au vu des conditions météo – il faisait 17 degrés samedi à Nendaz –, «on savait qu’on avait une chance sur deux. La montagne a gagné. C’est un peu frustrant, mais ce sont les règles du jeu pour que la sécurité soit garantie. On les accepte.» Il n’est en tout cas pas question de remettre en cause la 12e édition. Cyril Lanfranchi évoque même déjà les dix prochaines moutures de cette compétition qui s’est imposée comme une étape incontournable du circuit World Qualifier, sorte de 2e division de la discipline derrière le Freeride World Tour, dont l’Xtreme de Verbier est la finale.
«C’est la compétition la mieux organisée du World Qualifier, confirme le skieur Julien Arpin. Elle est aussi spéciale, parce que le MontGond offre une pente assez peu raide [25 degrés de déclivité moyenne], donc idéale pour le freestyle, les gros sauts. C’est ce qui plaît au public… je crois.»
Julien Falco, lui aussi, est un peu amer. Mais soulagé, également. Cet ancien habitué du Freeride World Tour devait tester la face, ce samedi matin avant les concurrents. Cela fait plusieurs jours qu’il redoutait l’effet de la chaleur sur la stabilité de la neige.
Combler le vide
Pour les qualifications du vendredi, les concurrents avaient d’ailleurs dû s’élancer sous le télécabine du Plan-du-Fou. C’était le plan C. Les plans A et B avaient été écartés en raison des avalanches, spontanées elles, qui s’étaient déclenchées quelques jours auparavant. La neige était lourde, difficile à rider. «C’est là que l’on voit la différence entre ceux qui ont les cuisses et les autres.» La boutade de Julien Falco est un bon résumé: dans ce milieu ni amateur ni tout à fait professionnel, il y a ceux qui sont doués et ceux qui, en plus, sont physiquement préparés.
En début d’après-midi, la cérémonie de remise des prix récompense les vainqueurs de ces qualifications. Champagne quand même, sur un podium doté de 3 étoiles, au lieu des 4 dont bénéficie la Nendaz Freeride. Les lauréats accumulent un peu moins de points dans leur quête pour accéder à la division supérieure.
Au Plan-du-Fou, les milliers de spectateurs et d’invités sont quand même venus profiter des installations et des animations. Il faut dire que, pour combler le vide, les organisateurs ont rapidement rebondi. Dix minutes après les avalanches, un conciliabule s’organise à la table ronde du restaurant. Avec une question centrale: comment alimenter la retransmission en direct? Les images des qualifications sont prêtes, mais elles seront insuffisantes.
Une démonstration de sauts a été donc improvisée sur une pente voisine. L’organisation prie les riders de rester sobres et d’y participer pour «l’image de la compétition et la vôtre. Vos sponsors seront là, les spectateurs aussi», rappelle-t-on au micro. Une bonne moitié des finalistes se prêtent au jeu. Ils enfilent les backflips comme des perles. Xavier De Le Rue et Aurélien Ducroz, deux références du freeride, alimentent la retransmission en direct avec leurs expériences.
Géraldine Fasnacht est aussi de la partie. La snowboardeuse, huit saisons de Freeride World Tour à son actif, fait partager l’une de ses autres passions: elle saute d’un hélicoptère en wingsuit et survole la foule à une vitesse qui dépasse sans doute les 150 km/h. Au micro, le speaker ne manque pas de rappeler au public que le week-end n’est pas terminé. La soirée de clôture a aussi eu lieu au Cabanon, à Nendaz. Plusieurs DJ, ainsi que les deux Vincent (Kucholl et Veillon) sont invités.
Nous avions quitté la station avant cette deuxième soirée. Mais nous sommes prêts à parier que la recette y était la même que la veille. A part le riz au curry.
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Un casque de réalité virtuelle a permis aux freeriders d’examiner les détails de la pente sous tous les angles