Omar Porras dynamite Molière au Théâtre Kléber-Méleau
Pour sa première création depuis qu’il est directeur des lieux, le metteur en scène livre un «Amour et Psyché» endiablé et allumé. Un régal pour les sens, une ode au théâtre dans toute sa puissance
Monstre qui roule des yeux, elfe qui fuse dans les airs, acteurs scintillants et terribles grondements de tonnerre. Pour sa première création dans les murs du TKM, à Renens, scène dont il est le directeur depuis 2015, Omar Porras a parfaitement rempli son rôle de mage merveilleux. Bondissant, farceur et truffé d’effets, son Amour et Psyché, d’après Molière, renoue avec la tradition du Teatro Malandro d’avant L’Eveil du printemps ou La Dame de la mer, spectacles plus graves et plus introspectifs. Une tradition où rien n’est trop grand, trop beau, trop éclatant pour célébrer cette fête des sens qu’est le théâtre vivant.
«Les rêves sont le coeur sacré de notre imaginaire.» La phrase trône sur une paroi du foyer, elle annonce la couleur de la soirée. La réalité n’est pas la tasse de thé d’Omar Porras. Il lui préfère le pouvoir magique du monde onirique. Dans le dossier de presse, le directeur du TKM va plus loin: «Le théâtre est le prisme qui permet d’interpréter le divin. Le théâtre est un chemin qui se perd dans le ciel. Le théâtre se dessine avec les cendres du foyer des dieux, des dieux-hommes, des dieux-bêtes.» Pour lui, le metteur en scène n’est pas un simple lecteur de textes et directeur d’acteurs. C’est un chaman qui capte les signes sous-terrains qui fondent et éclairent notre condition d’humains.
Des salons de Louis XIV à Disney
Le défi est ambitieux et largement relevé dans cet Amour et Psyché ingénieux. Le spectacle, qui raconte les amours compliquées entre une mortelle et un dieu, est libre, décomplexé, joyeux. Il mêle plusieurs esthétiques et plusieurs styles de jeu. On passe sans transition des danses tribales précolombiennes aux perruques précieuses des salons de Louis XIV. Sans oublier l’esthétique Disney qui colore le concours des trois épreuves imposées à Psyché. A ce moment, lorsque Vénus défie la mortelle qui lui a ravi son fils Amour, Emmanuelle Ricci ressemble à la Méchante Reine de BlancheNeige, mi-femme, mi-sorcière, avec son rire de gorge et les gifles qu’elle administre à distance. On peut ne pas aimer cet excès. La séquence a quelque chose de kitsch. Mais on peut aussi saluer la singularité de ce parti. Qui d’autre, en Suisse romande et peut-être ailleurs, envisage le théâtre avec une telle générosité, un tel appétit? Un tel professionnalisme, aussi?
Car, et c’est encore la force d’Omar Porras, les comédiens sont tous à la hauteur du pari. Philippe Gouin en tête – il est excellent dans le rôle d’Amour, il est encore plus excellent dans le rôle de Cidippe, une des soeurs de Psyché – les acteurs sont aussi précis que puissants, totalement à leur affaire dans cette pastorale augmentée. On pense par exemple au jeune Jonathan Diggelmann, une découverte, qui fait des merveilles de burlesque dans le rôle d’Aglaure, la seconde soeur de Psyché. Car oui, à nouveau et pour le meilleur de ce comique de plateau, les hommes jouent les femmes et inversement, au Teatro Malandro. Prouesses aussi, de fraîcheur et de pertinence, chez Maëlla Jan, menue acrobate qui dynamise Zéphire, l’émissaire de Cupidon, avec ses évolutions et récits bondissants.
Et Jeanne Pasquier, qui compose Psyché? Retrouve-t-on chez la jeune comédienne genevoise l’intensité de sa Wendla, dans L’Eveil du printemps, ou la légèreté ensorceleuse d’Hilde, fille-fleur dans La Dame de la mer? Pas tout à fait. Dans le monologue éploré de Psyché, lorsque, poussée par la curiosité, la jeune mortelle a perdu son dieu aimé parce qu’elle a découvert sa vraie identité, la comédienne en fait beaucoup, mais ne parvient pas à toucher. Pas facile de maîtriser à la fois le jeu XXL exigé par Omar Porras et la sincérité de sentiment… Le spectacle est né pour durer, un mois à l’affiche du TKM, puis une tournée française avant une tournée romande en octobre 2017. La jeune actrice aura le temps de trouver sa vérité sous les sanglots appuyés.
Fredy Porras, le maître enchanteur
On parle là de tristesse, mais le ton général est à la fête. Entre les méchantes soeurs, hilarantes, le duo de princes (Karl Eberhard et Juliette Vernerey) piégés dans un coup de théâtre programmé et les costumes fantaisistes – entre ailes et plumes, casques et cornes – d’Elise Vuitel, le spectacle charrie son lot de gaîté. Bien évidemment, les décors de Fredy Porras jouent aussi leur rôle d’enchantement. Parfois un arbre sec fait totem et c’est l’aridité d’un rituel du fond des âges qui est évoquée. Le plus souvent, palais scintillants et cyclos de couleur traduisent avec humour les fastes de la cour. Cinquante artisans ont participé – d’un jour à deux mois – à l’élaboration de cette création qui a coûté près de 500000 francs – coût normal d’un grand spectacle d’institution.
La salle crépite
Molière, lui aussi n’est pas seul à la barre du texte. Déjà, pour écrire Psyché, cette tragédie-ballet de 1671, le génie français s’était associé les talents de Corneille pour les parties versifiées. Surtout, Marco Sabbatini et Odile Cornuz, qui signent l’adaptation actuelle, ont puisé dans la version de La Fontaine, les livrets d’opéra ainsi que dans le récit original du latin Apulée, de quoi trousser une histoire qui file bon train – la tragédie-ballet de Molière avec intermèdes dansés de Lully durait cinq heures… Mardi soir, au terme de 1h50 d’un spectacle endiablé, la salle a crépité. Juste récompense pour une production qui déborde de talent et de générosité.
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C’est encore une autre force d’Omar Porras, les comédiens sont tous à la hauteur du pari