«La liste de Janot» relance le scandale Petrobras
BRÉSIL La liste des politiciens ayant bénéficié des largesses du groupe Odebrecht donne une dimension nouvelle à l’affaire. Tous les partis cherchent à limiter les dégâts
Depuis des semaines, Brasilia attendait avec angoisse la liste des politiques de tous bords ayant bénéficié des largesses du groupe Odebrecht, le numéro un local du BTP, qui surfacturait ses contrats avec le groupe pétrolier Petrobras pour reverser des commissions aux partis. Les révélations dévastatrices de l’enquête dite Lava Jato («lavage express») avaient abouti à la destitution, l’an dernier, de la présidente Dilma Rousseff (Parti des travailleurs, PT), délogeant le PT du pouvoir, qu’il occupait depuis 2003.
Or, Odebrecht a décidé de passer à table, et ses aveux donnent une autre dimension à l’affaire. Les dépositions de ses cadres – encore sous le sceau du secret judiciaire – ont servi de base à la «liste de Janot», du nom du procureur général, tombée mardi soir.
Rodrigo Janot y adresse à la Cour suprême, compétente pour juger ministres et parlementaires, pas moins de 83 demandes d’ouverture d’enquête pour corruption, blanchiment d’argent et financement occulte de campagnes électorales. Quelque 170 politiques de diverses obédiences pourraient être visés. Leur identité n’a pas encore été dévoilée mais, selon la presse locale, le président Michel Temer, du Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB), n’en fait pas partie. Même si, à en croire les fuites, il aurait demandé à Odebrecht, en 2014, plus de 3 millions de francs pour financer son parti alors qu’il était encore le vice-président de Dilma Rousseff. Par contre, cinq de ses ministres seraient en cause, de même que d’autres de ses alliés. Tel Rodrigo Maia et Eunicio Oliveira, présidents de la Chambre et du Sénat, ou encore les sénateurs du Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB, centre droit) José Serra et Aécio Neves, le candidat défait par Dilma Rousseff en 2014. Présentée comme intègre par ses partisans, l’ex-présidente figurerait elle-même sur la liste, aux côtés de son mentor et prédécesseur, Luiz Inacio Lula da Silva, déjà inculpé dans l’affaire et néanmoins en tête des sondages pour la présidentielle de 2018.
La thèse de la chasse aux sorcières contre la gauche prend ainsi du plomb dans l’aile. «La perception de l’enquête Jato a changé, reconnaît Esther Solano, professeure de sociologie à l’Université fédérale de l’Etat de São Paulo (Unifesp). D’abord exclusivement centrée sur le PT, elle embrasse désormais le système politique dans son ensemble.» La liste de Janot plonge ainsi dans la tourmente l’actuelle coalition au pouvoir. Ses piliers, le PMDB et le PSDB, les deux forces motrices de l’impeachment, avaient brandi la bannière anti-corruption pour déloger le PT au pouvoir. Les voilà désormais à leur tour dans le collimateur.
Concertation entre les partis
Pour contrecarrer l’enquête, Michel Temer et ses alliés comptent pour leur part jouer la montre, grâce à la lenteur d’une Cour suprême surchargée. Le chef de l’Etat contre-attaque aussi sur le front économique. Face à une récession historique, il tente de faire adopter une refonte de la Sécurité sociale et du Code du travail, des réformes demandées par le patronat mais contestées par les syndicats, qui appelaient à manifester mercredi. «Avec ces réformes impopulaires, le PMDB veut échapper à la police en s’attachant le soutien de l’élite économique», résumait crûment le sociologue Celso Rocha de Barros dans un récent éditorial pour la Folha de S.Paulo.
Par ailleurs, une concertation est en cours entre les principaux partis, PT compris, afin de faire voter au parlement une amnistie des délits dérivant du financement illégal de campagne. Le succès de ces manoeuvres dépendra de la pression d’une rue – de gauche comme de droite – qui s’est montrée jusqu’ici apathique. «Les mouvements de droite qui ont mobilisé en faveur de l’impeachment soutiennent Temer, reprend de son côté Esther Solano. Mais leur assise, consciente que la corruption est systémique, les accuse désormais de connivence. C’est donc sous la pression qu’ils reprendront la rue dimanche, pour soutenir Lava Jato. La gauche, quant à elle, tente de mobiliser contre les réformes économiques mais pas contre la corruption, parce que le PT lui-même est impliqué.»
«L’enquête embrasse désormais le système politique dans son ensemble»
ESTHER SOLANO, PROFESSEURE DE SOCIOLOGIE