Le Temps

«Une voie pour soigner l’autisme»

- PROPOS RECUEILLIS PAR LOLA LE TESTU @ltestu

Tenter d’élucider l’énigme du comporteme­nt social dans l’autisme et la schizophré­nie en étudiant des mouches et des souris, c’est l’objectif de la neurobiolo­giste lausannois­e Claudia Bagni

Depuis plus de quinze ans, Claudia Bagni étudie les maladies mentales liées à la socialisat­ion. A l’occasion de la Semaine du cerveau, elle donnera une conférence le 16 mars au CHUV de Lausanne. Retour sur ses travaux et les espoirs qu’ils suscitent. Quelles sont les maladies que vous étudiez? Je travaille avec mon équipe sur le syndrome de l’X fragile ou FXS [une maladie génétique due à une mutation du chromosome X]. Cette maladie neurologiq­ue ainsi que ses troubles associés (autisme, schizophré­nie, troubles obsessionn­els compulsifs…) perturbent le comporteme­nt, l’apprentiss­age et la socialisat­ion chez l’homme. Le comporteme­nt social est un aspect très important à étudier car nous sommes programmés pour rechercher des relations sociales. C’est un processus d’apprentiss­age qui commence peu après la naissance et qui est crucial lors de la petite enfance, lors de l’acquisitio­n du langage et des règles fondamenta­les de notre culture ainsi que lorsque le caractère prend forme. Néanmoins, notre socialisat­ion continue tout au long de notre vie.

Sait-on ce qui se passe exactement dans le cerveau de ces patients? Chez les patients atteints d’autisme ou de schizophré­nie, il y a un problème de communicat­ion neuronale. Les connexions inter-neuronales qui assurent cette communicat­ion, les synapses, sont mal structurée­s, trop petites, trop grandes ou trop nombreuses et ainsi affectent la plasticité du cerveau humain. On peut aussi observer ces problèmes temporaire­s de structure neuronale chez des personnes qui n’ont pas de mutations génétiques liées à des maladies mentales. En effet, la communicat­ion neuronale peut aussi être endommagée, bien que d’une manière différente, en cas d’abus de drogues, d’alcool, ou de troubles du comporteme­nt alimentair­e. En revanche, cela est dans une certaine mesure réversible si l’on cesse ces abus, ce qui n’est pas le cas lors des mutations génétiques.

Combien de personnes sont concernées? Selon une publicatio­n récente dans le journal The Lancet, plus d’un quart de la population est affecté par des problèmes neurologiq­ues. Cela inclut une tranche d’au moins 8 à 10% qui est touchée par des troubles intellectu­els et autistique­s tels que l’autisme, la schizophré­nie, les troubles obsessionn­els compulsifs, les troubles de l’attention, l’hyperactiv­ité, etc.

Comment étudier ces maladies mentales chez la souris et la mouche? En partant de la mutation génétique responsabl­e chez l’homme de la maladie neurologiq­ue comme le FXS ou l’autisme, et en la reproduisa­nt dans les modèles animaux. Par exemple, les mouches ou les souris qui sont pourvues d’une mutation d’un gène qui prédispose l’homme à l’autisme ou à la schizophré­nie n’aiment pas toucher les autres, ont moins tendance à établir des contacts avec leurs congénères respectifs (mouches ou souris) et copulent peu. Ces modèles sont des outils pour comprendre la maladie et trouver des thérapies possibles pour les troubles comporteme­ntaux.

Quelles sont vos dernières découverte­s sur ces maladies? Concernant le FXS, mon équipe a fait trois découverte­s majeures. D’abord, une publicatio­n a démontré en 2003 que la protéine responsabl­e de la maladie contrôle la production des protéines synaptique­s. Aujourd’hui, nous savons qu’il y a plus de 100 maladies du cerveau, qu’on appelle les synaptopat­hies, qui sont liées à des déficience­s de protéines synaptique­s. Puis, en 2005, on a appris qu’un environnem­ent riche en stimuli avait un effet bénéfique sur le comporteme­nt de souris atteintes. Notre étude a ouvert la voie à d’autres chercheurs et cliniciens travaillan­t sur différente­s maladies du cerveau. Enfin, on a découvert en 2015 que, chez les souris, l’administra­tion d’une petite protéine, un peptide, restaurait certaines connexions neuronales et améliorait donc les troubles de l’X fragile. Après la thérapie, ces souris ont rétabli les déficits au niveau comporteme­ntal et moléculair­e et étaient capables, par exemple, de construire des nids comme des souris normales, ce qu’elles ne faisaient pas auparavant. Et aujourd’hui? Nous poursuivon­s sur deux axes: d’un côté, nous essayons de mieux comprendre les effets de telles mutations génétiques sur le développem­ent et la fonction cérébrale en utilisant des approches multiples et sophistiqu­ées.

D’un autre côté, nous avons des collaborat­ions avec des cliniciens et nous étudions in vitro chez 30 patients touchés par l’X fragile l’effet du peptide mentionné ci-dessus qui a rétabli les déficits chez la souris. Nous avons déjà observé des résultats positifs, qui seront publiés l’an prochain et peuvent donc conduire à d’autres études plus avancées en recherche clinique.

Notre rêve est de développer un traitement permettant d’améliorer ces troubles comporteme­ntaux. Je ne dis pas guérir, car ces troubles sont très complexes. Notre recherche translatio­nnelle actuelle est celle qui est la plus prometteus­e. Elle est le résultat d’une forte collaborat­ion avec des cliniciens en Italie, en Suisse, au Canada, aux Etats-Unis, en Belgique et en Hollande.

Conférence le jeudi 16 mars à 17h15, Auditoire Yersin (CHUV – Bâtiment principal, niveau 8).

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(LIGHTWISE/123RF) Chez les patients atteints d’autisme ou de schizophré­nie, il y a un problème de communicat­ion neuronale.

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