«Un robot pourrait remplir la déclaration fiscale d’une PME»
Bruno Chiomento, président du conseil d’administration d’EY Suisse, ne croit pas à un mariage au sein des quatre grandes fiduciaires, mais à des alliances avec des groupes technologiques
Le réviseur EY Suisse est en pleine expansion, notamment grâce au conseil d’entreprise. Les effectifs du groupe ont augmenté d’un quart entre 2013 et 2016 pour atteindre 2627 collaborateurs. Bruno Chiomento, président de la direction entre 2008 et 2016, et aujourd’hui président du conseil d’administration, précise la stratégie du groupe et l’avenir de l’audit et du conseil.
Comment sera EY Suisse dans dix ans? Dans dix ans, nous serons très probablement encore organisés autour de quatre lignes de services (audit, conseil d’entreprise, fiscal et juridique). Peut-être ne s’agira-t-il plus que de trois, comme chez certains de nos concurrents qui ont mis le même nom à deux services qui sont chez nous encore séparés. La proportion entre l’audit et le conseil sera adaptée. De 40-60%, nous pourrions passer à 30-70% ou même 25-75% avec la forte croissance du conseil. Les quatre grandes sociétés d’audit [le «Big Four», à savoir PwC, EY, KPMG, Deloitte] resteront en place. La part de marché devrait théoriquement être d’un quart par auditeur. Les différences se liront dans le conseil. La numérisation y sera de plus en plus présente. Et des alliances stratégiques avec des acteurs technologiques nous permettront d’offrir des services intégrés à un client.
Est-ce que le «Big Four» existera encore dans dix ans? Je ne crois pas à un mariage au sein du Big Four, parce que les autorités de surveillance ne l’accepteraient pas. Le choix d’un réviseur serait trop restreint compte tenu des nécessités d’indépendance. Mais, avec la numérisation, rien n’est à exclure. Des alliances sont possibles, éventuellement avec des sociétés informatiques. Il est impossible de prévoir ce qui se passerait si Google voulait se lancer dans l’audit, par exemple. Ce dernier ne manque pas de capitaux. Peut-être existe-t-il d’autres domaines plus lucratifs que les moteurs de recherche?
Vous êtes spécialiste de la gestion des données. Pourquoi Google ne s’y lancerait-il pas? C’est un peu comme les banques. A-t-on vraiment besoin d’intermédiaires à l’heure de la fintech? Dans l’audit aussi, la réglementation est énorme. Et les règles concernant les conflits d’intérêts encore plus étoffées. Les auditeurs ont un autre handicap. Ils n’ont pas accès à 100% du marché. Nous pouvons concurrencer les grands consultants comme McKinsey ou BCG, sauf pour les clients que nous auditons. L’avenir est difficile à prévoir. Est-ce que l’audit et le conseil resteront au sein de groupes intégrés ou assisterons-nous à une césure? Dans les années 1990, nous avions déjà vendu nos activités de conseil à Cap Gemini, pour nous y positionner de nouveau par la suite. PwC a fait de même et l’a vendu à IBM. La même expérience peut se reproduire, par exemple selon la volonté du régulateur.
Pourquoi aucun outsider n’entre sur votre marché pour casser les prix? La concurrence fonctionne sur notre marché. La valeur ajoutée est immédiatement transmise aux clients. Nos marges restent sous pression. Mais tout le monde ne peut pas être réviseur. La formation est complexe et l’agrément n’est pas facilement accessible sur les principaux marchés internationaux. Sous cet angle, l’audit est plus difficile que le conseil fiscal. Ce dernier pourrait être entièrement automatisé. Dans quinze ans, un robot pourrait s’occuper de la déclaration fiscale d’une PME. Il en va de même de certains domaines du conseil.
Le mode de tarification changerait-il? Notre modèle d’affaires est historiquement lié à un forfait à l’heure. L’automatisation pourrait remettre en cause ce principe. La branche cherche d’ailleurs d’autres solutions que le forfait à l’heure. Nous ne vendons plus des heures, mais un «managed service», soit une valeur pour nos services. Il est préférable d’employer le modèle bancaire. On dit toujours: quand le banquier dort, les intérêts courent. On voit aussi que les cycles sont toujours plus courts. La quatrième révolution industrielle accélère le rythme du changement.
Est-ce que votre sommeil est troublé par les risques de scandales comptables ou par le cyberrisque? L’histoire montre qu’une plainte en responsabilité est immédiatement adressée au réviseur si quelque chose se passe mal dans une entreprise. La gestion de telles affaires s’accompagne d’un énorme effort de la part du réviseur. Le système américain tend à se répandre sur notre continent. Il contribue à créer un climat propice aux plaintes. Le cas Andersen [du nom du cabinet d’audit qui avait disparu à la suite du scandale des comptes d’Enron] rappelle qu’une affaire peut affecter EY Suisse sans qu’elle ne se passe directement dans notre pays.
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