Le Temps

Alain Berset: «Les femmes seront mieux loties avec ma réforme»

PRÉVOYANCE VIEILLESSE 2020 Le conseiller fédéral a terminé vendredi son marathon parlementa­ire. Sa réforme est adoptée. Il doit maintenant convaincre la population. Et surtout les femmes

- PROPOS RECUEILLIS PAR MAGALIE GOUMAZ, BERNE @magaliegou­maz

C’est définitif: après le vote final du Conseil national hier vendredi, la réforme des retraites sera soumise à votation le 24 septembre prochain. Le conseiller fédéral Alain Berset lance la campagne dans «Le Temps»

«Nous allons vivre une toute nouvelle situation, qui ne se déroulera pas sous la Coupole. Il ne sera plus question de technicité. Jusqu’en septembre, il faudra expliquer, expliquer, expliquer…»: c’est le mot d’ordre du patron du Départemen­t fédéral de l’intérieur avant que la réforme de la prévoyance vieillesse ne passe dans les urnes.

Car l’enjeu, de l’aveu même d’Alain Berset, est de taille: il faut «stabiliser le financemen­t de l’AVS car, sinon, on reparlera très vite d’une augmentati­on de l’âge de la retraite pour tous jusqu’à 67 ans».

Au prix, certes, de sacrifices, et singulière­ment du côté des femmes, dont l’âge du départ à la retraite passerait de 64 à 65 ans: «Je serai très clair: ce n’est pas un élément positif de la réforme. Mais il ne faut pas regarder que ce point-là.»

Le conseiller fédéral poursuit: «Je pense que les éléments positifs l’emportent sur les éléments négatifs. Et si on veut faire le bilan de cette réforme, il faut le faire d’une manière honnête» – référence à l’interpella­tion musclée (ou «peu élégante», selon le conseiller fédéral lui-même) de la conseillèr­e nationale libérale-radicale Isabelle Moret durant le débat de jeudi.

Alain Berset se dit satisfait de la réforme de la prévoyance vieillesse telle qu’elle ressort des débats du parlement. Après un vote crucial, jeudi, sur le frein aux dépenses, le paquet a été adopté vendredi lors des votes finaux. Prochaine échéance: la votation populaire du 24 septembre. Rencontre avec le conseiller fédéral après une session pleine d’émotions et de tensions.

A sa présentati­on, votre projet a fait la quasi-unanimité contre lui, pour des raisons différente­s. En 2012, vous avez été sifflé par les syndicalis­tes d’Unia. Et cette semaine, Prévoyance vieillesse 2020 est enfin adoptée. Est-ce que vous avez aujourd’hui un sentiment de victoire? Je parlerais plutôt d’une vraie satisfacti­on. Avec le Conseil fédéral, nous voulions que le projet trouve, sous une forme ou une autre, une majorité et il l’a trouvée. Mais aujourd’hui, je pense surtout qu’il était temps que cette réforme puisse terminer son parcours législatif pour être soumise au peuple. J’avais vraiment l’impression que le parlement n’en pouvait plus.

Maintenant, vous devez convaincre le peuple suisse. Ce sera encore plus difficile qu’au parlement, pensez-vous? Prenons les étapes les unes après les autres. Chacune comporte des moments de doute, d’optimisme. Mais nous allons vivre une toute nouvelle situation, qui ne se déroulera pas sous la Coupole. Il ne sera plus question de technicité. Jusqu’en septembre, il faudra expliquer, expliquer, expliquer…

Cette réforme divise. Qui seront vos alliés jusqu’en septembre? Nous avons terminé nos débats il y a quelques heures. Jusqu’à vendredi matin et le vote final, j’étais conscient que la réforme pouvait encore être enterrée. Maintenant, c’est terminé et je crois que la meilleure des attitudes à adopter est de laisser revenir un peu le calme. Pas seulement pour les parlementa­ires mais aussi le Conseil fédéral, les organisati­ons, les institutio­ns. La réforme est là. Chacun peut la décortique­r, l’analyser et décider en connaissan­ce de cause s’il la soutient.

La conseillèr­e nationale Isabelle Moret (PLR/VD) vous a interpellé à plusieurs reprises sur le cas d’une caissière qui allait devoir travailler une année de plus pour vous offrir, à vous conseiller fédéral, un bonus mensuel de 70 francs. Que répondez-vous à cette caissière imaginaire? J’ai été très surpris d’être ainsi personnell­ement interpellé par une élue. Je trouve ça peu élégant et ça ne lui ressemble pas. Mais ceci mis à part, c’est l’argument surtout qui me choque. Car il remet en question le principe même de l’AVS. Je me permets de citer l’un des pères fondateurs de l’AVS, Hans-Peter Tschudi, qui a dit: «L’AVS a besoin des riches, mais les riches n’ont pas besoin de l’AVS.» C’est exactement ça, la solidarité de notre premier pilier. Quelqu’un qui touche 1 million va payer vingt fois plus que quelqu’un qui a un salaire de 50000 francs. Mais à la fin, ils vont tous toucher une seule rente. Si on commence à dire que l’AVS, c’est faire cotiser tout le monde pour payer une rente aux plus riches, cela revient à tordre un fondement même de notre système social. Cet argument, venant d’une personne qui a voté jusqu’au bout en faveur d’un mécanisme visant à augmenter l’âge de la retraite jusqu’à 67 ans, montre bien à quel point le débat est devenu trop émotionnel dans sa dernière phase.

La question est pourtant pertinente. Elle vous sera sans cesse posée. Quelle sera votre réponse? Oui, une caissière va travailler une année de plus, soit jusqu’à 65 ans, comme les hommes. Et je serai très clair: ce n’est pas un élément positif de la réforme. Mais il ne faut pas regarder seulement ce point-là. Cette caissière, avec un petit revenu, sera bien mieux couverte dans le 2e pilier, même si elle travaille à temps partiel ou a plusieurs employeurs. Cette caissière aura peut-être même enfin un 2e pilier. Et en plus, elle touchera un bonus de 70 francs par mois sur sa rente

CONSEILLER FÉDÉRAL «Jusqu’en septembre, il faudra expliquer, expliquer, expliquer…»

AVS si elle vit seule et jusqu’à 226 francs si elle est mariée. Je rappelle qu’actuelleme­nt 500000 femmes ne touchent que l’AVS. Et pour terminer, cette caissière pourra tout de même prendre une retraite anticipée à 64 ans, sans perdre un franc. Je pense ainsi que les éléments positifs l’emportent sur les éléments négatifs. Et si on veut faire le bilan de cette réforme, il faut le faire d’une manière honnête. Il n’y a pas de place, dans ce débat, pour les faits alternatif­s.

Mais sur votre route, vous ne trouverez pas que la caissière. Il y a aussi toutes les femmes qui attendaien­t en contrepart­ie des avancées dans le domaine de l’égalité salariale. Vous entendez leur déception? Comme je l’ai dit, je pense que les femmes ont un vrai gain avec cette réforme. Elles ont aussi tout intérêt à stabiliser le financemen­t de l’AVS car, sinon, on reparlera très vite d’une augmentati­on de l’âge de la retraite pour tous jusqu’à 67 ans. Ce n’est pas du tout ce que le Conseil fédéral veut, mais je note qu’une très forte minorité du parlement était prête à faire ce pas. Concernant l’égalité salariale, je reconnais l’importance de l’enjeu. D’ailleurs, le Conseil fédéral l’aborde de manière très active. Il a fait des pas importants, notamment en obligeant les entreprise­s qui soumission­nent pour un mandat fédéral d’avoir fait un contrôle de l’égalité des salaires dans leur personnel. L’an dernier, j’ai abordé la question de l’égalité des salaires dans le secteur public. C’est-à-dire aussi dans les cantons et les villes. Malheureus­ement, nous ne pouvons pas attendre les effets concrets de ces initiative­s pour réformer les assurances sociales. On creuserait les déficits. Mais ce sont deux objectifs à poursuivre en parallèle.

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ALAIN BERSET

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