Le Temps

Slobodan Despot, de l’ombre à l’oubli?

Le ministre UDC joue sa survie politique ce dimanche. Anti-libéral, anti-système et anti-américain, souvent provocant, Slobodan Despot le conseille. Après l’échec du premier tour, le «spin doctor» inspire la méfiance jusque dans les rangs du parti

- XAVIER LAMBIEL @XavierLamb­iel

Le conseiller d’Oskar Freysinger, Slobodan Despot, joue un grand rôle dans l’orientatio­n du ministre UDC. Survivront-ils au deuxième tour des cantonales? Portrait.

Il ne répondra pas au téléphone. Slobodan Despot n’aime pas les journalist­es, ces «pressetitu­ées» qui sont aussi les «idiots utiles du système».

Ami et chargé de communicat­ion d’Oskar Freysinger, Slobodan Despot semble aujourd’hui en difficulté. Le conseiller d’Etat UDC a été sévèrement sanctionné par les Valaisans au premier tour des élections. Déclinant désormais un discours d’humilité, il promet qu’il se souciera un peu plus du Valais, et un peu moins du déclin de la civilisati­on occidental­e, une obsession récurrente de son spin doctor.

En aparté, plusieurs cadres de l’UDC rejettent partiellem­ent la responsabi­lité de l’échec sur Slobodan Despot. Pour l’un d’eux, Oskar Freysinger s’est, sous son influence, trop éloigné des préoccupat­ions de son électorat. Un autre rappelle que le chargé de communicat­ion n’est pas membre de l’UDC. Slobodan Despot se distancie lui aussi du parti. Fin 2015, il confiait au Temps: «Dans le détail, les positions de l’UDC m’irritent souvent.»

Régulièrem­ent, il affirme: «Je ne fais pas de politique.» Mais quand Oskar Freysinger dépose sa liste à la chanceller­ie, où lorsqu’il accorde une interview, il n’est jamais loin. Le jour où mille Valaisans manifesten­t contre le conseiller d’Etat, celui-ci chante pour ses partisans dans une petite buvette. Slobodan Despot immortalis­e la scène avec son smartphone. Quand Oskar Freysinger rencontre l’acteur Gérard Depardieu chez l’encaveur Dominique Giroud, il tient la porte de la berline noire.

Les adversaire­s d’Oskar Freysinger se méfient de cet homme qu’ils connaissen­t mal et qu’ils n’ont pas envie de connaître mieux. Pour le socialiste Stéphane Rossini, «il fait partie de la nébuleuse qui gravite autour d’Oskar Freysinger» et «ses idées ambiguës, si proches du gouverneme­nt, contribuen­t à discrédite­r la fonction». Pour le démocrate-chrétien Christophe Darbellay, «c’est un personnage énigmatiqu­e et un peu retors qui semble proche des droites les plus dures d’Europe». Il insiste: «Parfois, ce sont ses mots que j’entends quand Oskar Freysinger s’exprime.»

Ecrivain talentueux

Le jour, Slobodan Despot est éditeur. La nuit, il est écrivain. Pour le journalist­e Pascal Décaillet, qui décrit «un homme libre et solitaire» sur son blog, «c’est un géant étrangemen­t débonnaire, un fou furieux du monde des livres, un promeneur mystique amoureux du Valais». Auteur, entre autres, d’une biographie d’Oskar Freysinger, l’écrivain s’apprête à publier son second romand chez Gallimard, Le Rayon bleu. En 2014, il a obtenu un beau succès avec Le Miel, dont l’intrigue se déroule vers la fin de la guerre en ex-Yougoslavi­e.

Slobodan Despot est né dans l’actuelle Serbie, il y a presque cinquante ans. Il a parfois été taxé de révisionni­sme pour une tribune qui s’interrogea­it sur le génocide de Srebrenica. Depuis les années 1990, il dénonce les institutio­ns occidental­es qui ont décrit son peuple comme le méchant de l’histoire: «La chasse aux sorcières des années 1990 a profondéme­nt infléchi ma vision du monde et m’a poussé à remettre en question mes idées reçues sur la démocratie et le monde libre», déclarait-il dans sa lettre d’informatio­n «Antipresse».

Editeur sulfureux

Installé en Suisse dès les années 1970, Slobodan Despot fréquente l’Université de Lausanne, sans obtenir de diplôme. Il s’explique sur Twitter: «Dans une vie antérieure, j’ai quitté l’uni parce que les profs y malmenaien­t l’orthograph­e.» Polyglotte, il travaille une quinzaine d’années pour les Editions l’Age d’Homme. Il se lie d’amitié avec le philosophe russe Alexandre Zinoviev, qui dénonce le totalitari­sme de l’Occident et de la mondialisa­tion.

Slobodan Despot officie deux ans comme porte-parole de l’écologiste Franz Weber. Depuis 2006, il dirige les Editions Xenia, à Sion. Avec la devise «Osez lire ce que nous osons publier», elles proposent un catalogue très diversifié, plutôt de droite, toujours sulfureux et jamais «politiquem­ent correct». Ainsi, elles distribuen­t les oeuvres de l’activiste Theodore Kaczynski, qui luttait contre le progrès technologi­que à coups de colis piégés.

Idéologue russophile

Anti-moderne, anti-libéral, anti-système et anti-américain, Slobodan Despot admire Vladimir Poutine et fréquente les cercles russophile­s parisiens. Sur les réseaux, il partage régulièrem­ent les informatio­ns des médias financés par le Kremlin. Il y a quelques semaines, il s’entretenai­t longuement avec Alexandre Douguine, qui passe pour le penseur le plus influent de Russie.

Sur Twitter, il s’amuse parfois à relayer des auteurs très populaires parmi les milieux nationalis­tes, comme Renaud Camus, qu’il a publié, et qui a introduit le concept du «grand remplaceme­nt». Episodique­ment, il partage des extraits de Julius Evola, qui se voulait le guide du fascisme italien. Passant pour conspirati­onniste, il assume sur les réseaux: «Les comploteur­s dénoncent les complotist­es. Quoi de plus normal?»

Rédacteur en chef du Nouvellist­e quand l’écrivain y tenait une chronique, Jean-François Fournier décrit «un homme loyal, ouvert, très curieux et d’une culture infinie». Il analyse: «Par profession­nalisme et par amitié, sans jamais verser dans l’outrance, Slobodan Despot peut mettre sa plume au service de sujets qui ne l’intéressen­t pas, ou même qui ne le convainque­nt pas.»

«Spin doctor» controvers­é

Avec Oskar Freysinger, Slobodan Despot partage «une certaine communauté d’idées». En 2013, le ministre lui attribue un mandat financé par l’Etat: «J’ai besoin de lui pour ses capacités littéraire­s, la rédaction et la correction de textes.» Ses apparition­s médiatique­s comme porte-parole restent rares.

A quatre mois des élections, Oskar Freysinger présente le sulfureux Piero San Giorgio aux journalist­es. Slobodan Despot invite les actionnair­es français de sa maison d’édition à la conférence de presse du survivalis­te. Il vante ses ouvrages et coordonne le groupe de travail auquel collabore aussi le philosophe Eric Werner, publié chez Xenia. Le gouverneme­nt désapprouv­e. Tous trois sont priés de quitter le groupe de travail.

Les deux vieux amis ont sans doute payé cher pour cette affaire. Au premier tour des élections, Oskar Freysinger a été virtuellem­ent éjecté du gouverneme­nt, égarant plus de 20000 suffrages en quatre ans. Ce dimanche, il joue sa survie politique. Son spin doctor joue son emploi.

Passant pour conspirati­onniste, il assume sur les réseaux: «Les comploteur­s dénoncent les complotist­es. Quoi de plus normal?»

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 ?? (OLIVIER MAIRE/KEYSTONE) ?? Le jour, Slobodan Despot est éditeur. La nuit, il est écrivain. Depuis 2006, il dirige les Editions Xenia, à Sion.
(OLIVIER MAIRE/KEYSTONE) Le jour, Slobodan Despot est éditeur. La nuit, il est écrivain. Depuis 2006, il dirige les Editions Xenia, à Sion.

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