Le Temps

Comment dorment les Romands

- FLORENCE ROSIER

Une étude menée au CHUV sur 5000 personnes a détaillé la qualité de leur sommeil. Principal point noir: l’apnée du sommeil est très répandue.

Menée sur plus de 5000 personnes, l’étude HypnoLaus décrypte les nuits des Romands. 60 à 80% de la population souffrirai­t d’apnées légères du sommeil, un homme sur deux et une femme sur quatre sont plus sévèrement touchés

Comment dormez-vous? Et quelles sont les plaintes à ne pas négliger concernant la qualité de votre sommeil? Présentée le 16 mars – veille de la Journée internatio­nale du sommeil – devant un parterre de médecins à Genève, une étude suisse livre une riche moisson de résultats: sur la durée moyenne de nos nuits, les effets de l’âge ou du sexe, l’influence de la Lune ou du statut socio-économique, la fréquence des apnées du sommeil…

Menée sur plus de 5000 personnes de 40 à 85 ans, recrutées au sein de la population lausannois­e, l’étude HypnoLaus est, à ce jour, la plus vaste étude sur le sommeil réalisée au monde. Entre 2009 et 2013, les participan­ts ont répondu à des questionna­ires précis sur leurs habitudes et les problèmes rencontrés durant la nuit. Parmi eux, plus de 2000 ont également bénéficié d’un enregistre­ment complet de leur sommeil à domicile. «Fait notable, notre cohorte n’a pas été recrutée sur la base de plaintes pour un trouble précis», expliquent les deux principaux auteurs, les docteurs Raphaël Heinzer, médecin responsabl­e du Centre d’investigat­ion et de recherche sur le sommeil (CIRS) du CHUV, à Lausanne, et José Haba Rubio, médecin cadre au CIRS.

6,7 heures par nuit

Depuis 2014, l’analyse des données a donné lieu à une quinzaine de publicatio­ns dans de prestigieu­ses revues scientifiq­ues. «Cette étude livre des résultats très solides: c’est un long suivi de cohorte, avec un nombre important de sujets. L’analyse statistiqu­e rigoureuse a permis d’examiner séparément l’influence de divers facteurs sur le sommeil», estime le professeur Damien Léger, président de l’Institut national du sommeil et de la vigilance de l’Hôtel-Dieu, à Paris.

Comment, donc, dorment les Suisses romands? Premier enseigneme­nt: ils rejoignent les bras de Morphée en moyenne 6,7 heures par nuit, mettent 18 minutes pour s’endormir, se réveillent en moyenne 70 minutes par nuit. Quel que soit l’âge, les femmes dorment davantage que les hommes (26 minutes de plus en moyenne); alors que ces derniers ont moins de sommeil profond et paradoxal. Par ailleurs, le temps d’endormisse­ment n’est pas affecté par l’âge ou le sexe. En revanche, «en vieillissa­nt, on dort moins; le sommeil est moins profond et plus fragmenté», résume José Haba Rubio. Paradoxale­ment, ces changement­s liés à l’âge, objectivés par les enregistre­ments du sommeil, n’affectent ni la somnolence diurne ni la qualité perçue du sommeil.

C’est là une des leçons majeures de l’étude: les plaintes de sommeil chez une personne âgée ne sont pas une fatalité. «C’est pourquoi la présence de troubles du sommeil ne doit pas être considérée comme faisant partie du vieillisse­ment normal. Elle doit inciter à l’identifica­tion de comorbidit­és sous-jacentes (la présence possible d’autres maladies associées, ndlr)», avertit Raphaël Heinzer. En outre, la prise de médicament n’est pas anodine. «Certains anti-hypertense­urs, par exemple, perturbent la sécrétion de la mélatonine [l’hormone du sommeil], donc la qualité du sommeil», explique Damien Léger.

L’étude HypnoLaus s’est également intéressée aux effets du statut socio-économique. Verdict: les personnes ayant un faible niveau de scolarité ou une position profession­nelle plus basse ont une qualité de sommeil moins bonne, un plus long délai d’endormisse­ment et une prévalence accrue d’insomnie. Les femmes sont les plus touchées. «Le statut socio-économique a un impact direct sur le sommeil. On sait que le travail physique, la charge de travail, le stress psychologi­que et les horaires de travail décalés jouent un rôle délétère», relève José Haba Rubio. Plus anecdotiqu­e: l’impact des différente­s phases de la Lune sur la qualité du sommeil semble mineur, sinon nul. «On dormirait peut-être 10 minutes de moins durant les phases de pleine Lune», note José Haba Rubio. Un impact très faible, comparé à celui du bruit, du stress, des maladies du sommeil…

Les conséquenc­es délétères des apnées

Enfin, une attention particuliè­re a été portée aux syndromes d’apnées du sommeil. Ces arrêts involontai­res de la respiratio­n survenant durant la nuit entraînent une cascade d’effets délétères. Pour pouvoir respirer, les personnes touchées ont périodique­ment des micro-réveils qui altèrent notablemen­t leur sommeil. Elles s’endorment fréquemmen­t durant la journée, d’où des difficulté­s au travail et un risque multiplié par sept d’accidents de la route, selon une précédente recherche. Selon l’étude HypnoLaus, ces troubles sont bien plus fréquents que prévu. Au total, jusqu’à 80% des hommes et 60% des femmes présentent plus de cinq apnées par heure de sommeil. Un homme sur deux (49%) et une femme sur quatre (23%) souffrent de plus de 15 apnées par heure! «Des chiffres impression­nants», selon José Haba Rubio.

La cohorte a aussi chiffré les méfaits de ces apnées sur le système cardiovasc­ulaire. Les personnes qui font plus de 20 apnées par heure voient leur risque d’hypertensi­on augmenter de 60%, leur risque de diabète doubler… Moins connu, leur risque de dépression est aussi accru de 90%. «Si l’on est ronfleur, qu’on est fatigué ou qu’on a des difficulté­s de concentrat­ion durant la journée, si l’on présente des facteurs de risque cardiovasc­ulaire, cela vaut le coup de consulter un médecin et d’en discuter avec lui», conclut Raphaël Heinzer. Si possible, une perte de poids est recommandé­e. Il faut aussi éviter l’alcool le soir. Et divers traitement­s peuvent être proposés, comme un système de ventilatio­n en pression positive continue, ou CPAP.

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(123RF) L’étude HypnoLaus a mis en évidence que les troubles de l’apnée sont bien plus fréquents qu’on ne le pensait.

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