Le Temps

Les derniers jours de la pensée unique du G20

- FRÉDÉRIC KOLLER JOURNALIST­E

La situation ne manque pas de sel. A Baden-Baden, les ministres des Finances du G20 doivent réitérer ce samedi le credo de l’organisati­on la plus influente de notre planète: la défense du libre-échange comme moteur de l’économie et principe d’ouverture. Le Groupe des 20 (les 19 principale­s économies, plus l’UE, qui représente­nt deux tiers de la population et 90% du PIB mondial) affirme année après année, depuis son lancement en 1999, l’attachemen­t à ce principe, décrié par d’aucuns comme la «pensée unique» de notre temps.

Hors cette année, il y a un hic. Le représenta­nt de Washington refuse de jouer la partition imposée jadis par son pays. Le nouveau secrétaire au Trésor, Steven Mnuchin, se fait prier. «Je peux comprendre que nos partenaire­s américains ne veulent pas s’engager à ce stade, c’est une administra­tion qui s’installe, expliquait vendredi Pierre Moscovici, le commissair­e européen aux Affaires économique­s. Mais la tradition du G20 c’est d’affirmer le libre-échange et de refuser le protection­nisme.»

C’est ainsi que l’ancien ministre socialiste français, dont le parti ne s’est jamais vraiment accommodé du libéralism­e économique, fait la leçon à l’ancien cadre de Goldman Sachs et membre du Parti républicai­n, qui faisait jusqu’à il y a peu figure de champion du marché. L’émissaire de Donald Trump ne veut pas entendre parler d’une condamnati­on d’un «protection­nisme» qui a été le principal argument de vente du candidat milliardai­re pour s’emparer de la Maison-Blanche.

En Allemagne, on pourrait assister à la désintégra­tion d’un consensus qui a guidé le monde depuis bientôt vingt ans. Si ce n’est pas ce week-end avec les ministres des Finances, cela devrait se jouer en juillet à Hambourg lors du sommet des chefs d’Etat du G20, qui sera sans doute la première grande sortie internatio­nale, dans un cadre multilatér­al, de Donald Trump.

Tout n’est pas encore joué. Si Donald Trump affirme vouloir tenir ses promesses de campagne, celles-ci se fracassent sur la réalité des lois et des traités, nationaux et internatio­naux. Le commerce n’échappe pas à la règle. Ainsi, les Etats-Unis, qui accusent un déficit commercial important avec l’Allemagne, menacent-ils d’imposer des taxes douanières aux importatio­ns allemandes (comme pour la Chine ou le Mexique). Encore faut-il que cela ne contrevien­ne pas aux accords de l’Organisati­on mondiale du commerce (OMC). «Ce ne serait pas la première fois que Monsieur Trump échouerait devant les tribunaux», ironisait vendredi la ministre allemande de l’Economie, Brigitte Zypries, en évoquant un possible recours auprès de l’instance genevoise au cas où Washington actionnera­it l’arme des taxes douanières.

C’est ce qu’est allée rappeler Angela Merkel au président des Etats-Unis de vive voix ce weekend. Avant de prendre son vol pour Washington, elle a eu un coup de fil avec Xi Jinping, le chef du Parti communiste chinois, et désormais principal tenant de l’ordre économique libéral aux côtés de l’Allemagne. Ce n’est pas qu’avec les Européens que le président chinois compte faire bloc face au reflux protection­niste. En milieu de semaine, un émissaire chinois s’est joint à une rencontre organisée par le Chili pour relancer un partenaria­t transpacif­ique (TPP) arraché de haute lutte par Barack Obama et aussitôt abandonné par Trump. Pékin se verrait bien occuper la place laissée vide au banquet du principal traité commercial négocié ces dernières années.

Les engagement­s contractue­ls des Etats-Unis et la prise de conscience que leur retrait du multilatér­alisme jouerait en faveur de leur principal concurrent, la Chine, feront-ils finalement dévier Donald Trump de sa ligne? Rien n’est moins sûr. On pourrait bien vivre les derniers jours de la pensée unique du G20.

En Allemagne, on pourrait assister à la désintégra­tion d’un consensus qui a guidé le monde depuis bientôt vingt ans

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