Washington hausse le ton face à Pyongyang
Au cours de sa première visite en Asie, Rex Tillerson, le chef de la diplomatie américaine, a estimé que «vingt années d’efforts» de dénucléarisation avaient échoué. La Chine doit faire plus. De son côté, la Suisse reste disponible pour aider au dialogue
Après vingt ans d’efforts sans succès, il est temps d’essayer «une nouvelle approche». Pour sa première tournée en Asie – il est arrivé mercredi soir à Tokyo – le secrétaire d’Etat américain a placé le dossier nord-coréen en tête de son agenda. Rex Tillerson, en poste depuis février, a jugé «important de reconnaître que les efforts politiques et diplomatiques […] pour mener la Corée du Nord à se dénucléariser ont échoué».
Vendredi, à Séoul, le nouveau chef de la diplomatie américaine s’est même fait menaçant: «S’ils élèvent le niveau de menace de leur programme d’armement à un niveau qui nécessite à nos yeux une action, alors l’option [militaire] sera sur la table.»
Pyongyang, menace pour toute la région
Ce samedi, l’ancien patron d’ExxonMobil ira porter ce message à Pékin, principal allié de Pyongyang, qu’il appelle à prendre de «nouvelles mesures». Sa visite doit aussi servir à préparer la première rencontre entre Xi Jinping et Donald Trump, que la presse américaine annonce pour le début du mois d’avril en Floride. La Suisse, régulièrement appelée à faciliter le dialogue avec la Corée du Nord, n’a reçu «aucune sollicitation à ce jour», a indiqué vendredi l’ambassade à Pékin, également chargée de ce pays. Elle précise qu’elle «maintient ouverts les canaux de communication entre les deux Corées». L’ambassade détaille par ailleurs que seuls six ressortissants suisses se trouvent en Corée du Nord, contre huit fin 2013, trois oeuvrant pour la coopération et trois pour le Comité international de la CroixRouge.
La semaine dernière, Pyongyang a tiré quatre missiles balistiques, dont trois sont tombés à seulement quelque 200 km des côtes japonaises. Ces tirs, destinés à prouver que le régime nord-coréen peut aussi frapper les bases américaines présentes au Japon, ne sont que les derniers d’une série qui ne cesse de s’allonger depuis que Kim Jung-un a succédé à son père à la tête du pays, fin 2011. Ils démontrent la menace croissante que ce régime constitue pour toute la région.
Rex Tillerson est donc venu réaffirmer le soutien des Etats-Unis à leurs alliés. Des manoeuvres ont eu lieu cette semaine entre les marines américaine, japonaise et sud-coréenne. Les Etats-Unis ont en outre renforcé leur dispositif militaire. Ils ont annoncé le déploiement en Corée du Sud de drones dits d’attaque, alors que les premiers éléments d’un système contre les missiles pouvant venir de Corée du Nord sont arrivés près de Séoul. Lancé sous Barack Obama et aujourd’hui défendu par l’administration Trump, ce dispositif appelé THAAD suscite l’ire de Pyongyang, mais aussi de Pékin. La Chine y voit une menace pour sa propre sécurité en raison de la puissance de cet armement. Elle exige que Washington y renonce et punisse Séoul. Les voyages en groupe de touristes chinois en Corée du Sud ont été limités alors que plusieurs magasins Lotte en Chine ont été fermés, officiellement pour des raisons de sécurité. C’est sur un terrain du distributeur sud-coréen que THAAD doit être déployé.
«La situation avec la Corée du Nord ne s’améliorera pas à coups de sanctions ou en isolant encore plus le régime, déplore un spécialiste européen qui a vécu plusieurs années à Pyongyang. Les provocations de Kim Jung-un risquent de continuer tant qu’aucun dialogue n’a lieu.» La semaine dernière, Pékin a proposé, sans succès, que la Corée du Nord cesse ses essais nucléaires et ses tests de missiles et que Washington et Séoul renoncent à leurs manoeuvres militaires. La Chine a publiquement déclaré vouloir dénucléariser la péninsule, mais Pyongyang n’a pas changé de politique.
Pékin pourrait agir sur la Corée, mais ne veut pas
«En théorie, Pékin dispose d’énormes moyens de pression sur la Corée du Nord, vu sa dépendance économique envers la Chine», observe Yvonne Chiu, professeure assistante au département de politique de l’Université de Hongkong. Mais «en pratique, les autorités chinoises ne désirent pas intervenir. La Chine redoute un effondrement du pays, un des derniers régimes communistes. En outre, cela provoquerait une vague de réfugiés sur son territoire, ce qui deviendrait un problème intérieur.»
La pression sur la Chine augmente pourtant en raison du comportement erratique de Kim Jung-un, comme le confirme l’assassinat mi-février en Malaisie de son demi-frère Kim Jung-nam, qui avait lui aussi fait des études en Suisse. Pyongyang nie jusqu’à l’identité de la victime et s’est fâché avec Kuala Lumpur qui restait pourtant un de ses derniers alliés dans la région. Cette semaine, la Malaisie a confirmé, après des tests ADN, qu’il s’agissait bien du demi-frère.
Pour contrer Washington, Pékin mise sur la crise politique que traverse la Corée du Sud depuis la destitution de la présidente Park Geun-hye. Le favori des sondages, Moon Jae-in, privilégierait le dialogue avec Pyongyang et renoncerait au programme THAAD. Pékin pourrait aussi répliquer sur un autre terrain en «continuant ses constructions en mer de Chine du Sud», anticipe Yvonne Chiu.
D’aucuns voient dans cette escalade une réplique de la crise de Cuba en 1962 entre l’Union soviétique et les Etats-Unis. Cependant, «cette fois, c’est une tierce partie, la Corée du Nord, qui mène la nucléarisation de la péninsule et conduit à ce blocage, contredit la professeure de l’Université de Hongkong. Cela montre combien le paysage géopolitique a changé depuis la fin de la Guerre froide. De petits Etats peuvent désormais déclencher des phénomènes politiques de première importance.»
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REX TILLERSON, SECRÉTAIRE D’ÉTAT «S’ils élèvent le niveau de menace de leur programme d’armement, alors l’option [militaire] sera sur la table»