Le Temps

«L’accord-cadre avec l’UE n’est pas un monstre»

Après 100 jours dans sa fonction, la nouvelle secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, Pascale Baeriswyl, rompt le jeûne médiatique. Elle s’exprime sur les coupes prévues par le gouverneme­nt Trump dans le budget onusien, sur la relation de la Suisse ave

- LISE BAILAT, BERNE @LiseBailat

En termes de succession­s, son cas est peu banal. Depuis le 1er décembre, Pascale Baeriswyl remplace une tête, une tronche même, celle d’Yves Rossier, comme secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères. Mais dès avril, elle reprendra aussi la mission de Jacques de Watteville, comme coordinatr­ice en cheffe des négociatio­ns avec l’Union européenne (UE). Bâloise originaire de Fribourg, Pascale Baeriswyl accueille ces deux héritages – et leurs lots d’objets de valeur et de vaisselle fêlée – avec une loyauté certaine.

Tout faire pour la Genève internatio­nale

On commence par le plus brûlant. Jeudi, le gouverneme­nt Trump a présenté son budget. Il ambitionne de couper près de 30% de l’enveloppe allouée jusqu’ici à la diplomatie et aux affaires onusiennes. L’ONU, Pascale Baeriswyl connaît. Elle a dirigé entre 2008 et 2013 la section politique de la mission suisse à New York. Ce qui lui impose une remarque préliminai­re. «Les Etats-Unis sont de loin le bailleur le plus important pour le système onusien en finançant 20% des fonds réguliers, 30% des opérations de maintien de la paix. Il faut savoir l’apprécier.»

Mais bien sûr, si les coupes voulues par le président Trump sont confirmées par le Congrès, les organisati­ons onusiennes à Genève seront touchées, reconnaît la secrétaire d’Etat. «Nous allons tout faire pour soutenir la Genève internatio­nale. Il peut aussi y avoir des relocalisa­tions en faveur de Genève. Il est trop tôt pour faire des pronostics.»

Aux yeux de la quadragéna­ire, cette annonce cache un autre enjeu, encore plus important pour la Suisse. Le consensus autour du système multilatér­al est à la croisée des chemins. Au profit de quoi? l’inconnu. «Pour un pays de taille moyenne comme la Suisse avec un pouvoir économique et scientifiq­ue important, s’appuyer sur un système où les pays essaient de trouver des consensus et des compromis est existentie­l», rappelle la secrétaire d’Etat.

L’UE: pas de raison de faire marche arrière

Autre question existentie­lle pour la Suisse, celle de sa relation avec l’Union européenne. Pascale Baeriswyl a passé trois ans à la mission suisse à Bruxelles. Dès avril, elle coordonner­a les négociatio­ns qui portent notamment sur un accord institutio­nnel avec l’Union européenne. Ce traité doit permettre de renouveler la voie bilatérale entre la Suisse et l’UE, condition à tout nouvel accord sectoriel.

Or la question est de plus en plus brûlante: est-il encore opportun de conclure un tel accord-cadre, alors que l’économie comme les grands partis s’en détournent? «Il n’y a pour l’instant pas de raison de faire marche arrière, affirme Pascale Baeriswyl. Les négociatio­ns ont progressé. Nous allons continuer nos efforts et voir si nous pouvons remplir le mandat délivré par le Conseil fédéral qui contient des lignes rouges intangible­s.»

Avant même qu’il ne soit conclu, l’UDC a désigné cet accord comme l’ennemi numéro un, synonyme de perte de souveraine­té et de soumission aux «juges étrangers» de la Cour européenne de justice. «Depuis Montesquie­u, il n’y a pas de juges étrangers ou indigènes, il n’y a que des juges indépendan­ts, rétorque Pascale Baeriswyl. Cet accord institutio­nnel n’est pas un monstre. Il faut rappeler ce dont il s’agit. Nous avons des accords bilatéraux statiques par définition. Mais le droit évolue. Il faut l’adapter en permanence. Nous cherchons uniquement un mécanisme permettant cette adaptation. Nous devons passer de la photo au film en quelque sorte.»

L’accord s’inscrit dans l’intérêt des deux parties, assure la Bâloise. «Je suis prête à discuter de la meilleure manière de défendre la souveraine­té de la Suisse. Ce n’est pas aussi noir ou blanc qu’on peut parfois le croire dans le débat politique.»

«La question de l’adhésion ne se pose pas»

Dans un français parfait hérité de son père, qui a grandi à Bevaix (NE), puis perfection­né lors de ses études en littératur­e française, elle réaffirme l’importance de la relation avec l’Union européenne, voisine, partenaire culturelle et commercial­e, soeur en termes de valeurs. Pas question donc de s’inscrire dans le sillon indépenC’est dantiste tracé par la Grande-Bretagne, même si elle suivra les négociatio­ns entre Londres et Bruxelles «avec intérêt et curiosité».

Membre du Parti socialiste, Pascale Baeriswyl se défend pour autant d’être une euroturbo. «Je suis démocrate. Je ne serai jamais euroturbo au-delà de ce que le peuple veut. L’adhésion est d’ailleurs une question qui ne se pose pas pour moi.» Elle complète: «L’Union européenne a besoin du soutien de la population de ses Etats membres. La Suisse n’est pas une bonne candidate pour l’instant.»

Première femme secrétaire d’Etat en Suisse, Pascale Baeriswyl dirigeait la division chargée de la restitutio­n des avoirs illicites, avant de devenir numéro deux du DFAE. Cette expérience lui servira dans un autre débat sensible qui s’ouvre dans le domaine du négoce des matières premières et de la responsabi­lité des entreprise­s. «Nous menons des politiques de promotion de la paix dans certains pays où travaillen­t des entreprise­s actives dans le domaine du négoce de matières premières dans des contextes délicats. Cela peut poser une question de cohérence, reconnaît-elle. Avec l’argent des potentats, l’histoire nous a rattrapés. Dans ce domaine, nous aimerions prévenir», affirme encore la Bâloise.

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PASCALE BAERISWYL SECRÉTAIRE D’ÉTAT AUX AFFAIRES ÉTRANGÈRES

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