Le Temps

Bras de fer autour des données biologique­s

Trois organisati­ons de patients demandent, par l’entremise d’une motion parlementa­ire, qu’une meilleure gouvernanc­e des collection­s d’échantillo­ns soit établie par une loi fédérale. Une mesure qui risque de freiner la recherche, disent certains

- OLIVIER DESSIBOURG @odessib

Des biobanques sans foi ni loi? Sans aller jusque-là, Rebecca Ruiz souligne qu’«il n’y a, en Suisse, pas de standards minimaux légaux pour la gouvernanc­e des collection­s d’échantillo­ns biologique­s» (sang, urine, tissus, etc.). C’est pourquoi la conseillèr­e nationale (PS/VD) a déposé ce 17 mars une motion demandant une loi idoine. Un acte qui survient dans un contexte tendu, les organisati­ons de patients ne s’estimant pas assez écoutées dans ce domaine médical décrit comme révolution­naire, tant il promet une personnali­sation extrême des soins.

Cette démarche donne suite à une séance de discussion ayant eu lieu à l’automne 2016, organisée par l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) et Swissethic­s, l’organe faîtier des commission­s d’éthique. Ces deux entités sont chargées de mettre au point un formulaire unique pour toute la Suisse décrivant les conditions pour que les patients consentent à livrer leurs données biologique­s; actuelleme­nt, chaque canton, voire chaque hôpital, a le sien, ce qui complexifi­e l’utilisatio­n croisée de toutes les informatio­ns récoltées. Invitées, les associatio­ns de patients disent avoir eu l’impression d’y servir d’alibi: «Les patients n’ont pas été impliqués dans [les réflexions initiales autour de] ce formulaire de consenteme­nt, dit Franziska Sprecher. Ils ont été convoqués sur la fin, pour le valider.» Et cette professeur­e de droit à l’Université de Berne, membre de l’Organisati­on suisse des patients, d’expliquer que «ce formulaire promet des choses que le droit ne garantit pas». Par exemple? «La sécurité des données biologique­s personnell­es n’est légalement pas assurée.»

Formulaire en consultati­on

Autres points discutable­s, selon Joy Demeulemee­ster, de la Fédération romande des consommate­urs (FRC), qui soutient aussi la motion: «Le devoir d’informer sur l’utilisatio­n de ces données n’est pas établi: comme patiente, je souhaite savoir si mes échantillo­ns seront mis à la dispositio­n d’entités suisses, comme Novartis, voire étrangères.» Par ailleurs, poursuit Franziska Sprecher, «dans le document, on part du principe que dès qu’un patient a livré ses données, il n’a plus d’influence sur elles. Or il existe d’autres modèles.» «L’établissem­ent de ce formulaire de consenteme­nt général a peut-être été trop vite réduit à une question purement technique», analyse Dominique Sprumont, professeur de droit de la santé à l’Université de Neuchâtel.

Patrick Francioli, vice-président de Swissethic­s, explique que «les organisati­ons qui disent représente­r les patients ont, après la discussion d’octobre 2016, eu l’occasion de se manifester, et nous les avons entendues. Mais nous n’avons pas jugé efficace de reprendre tout le processus depuis le début.» Une version finale du formulaire a été arrêtée; elle est en consultati­on jusqu’au 31 mars 2017.

Du côté de l’ASSM, Daniel Scheidegge­r, son président depuis novembre 2016, calme le jeu: «Il n’y a eu aucune volonté d’écarter les organisati­ons de patients. C’est aussi justement le rôle des commission­s d’éthique de les protéger.» Il a donc été estimé que, en applicatio­n de la loi, Swissethic­s pouvait évaluer la pertinence de ce consenteme­nt général. «Le rôle de ces commission­s est de vérifier que le cadre légal est respecté» dans l’exécution des recherches, «mais pas de défendre les intérêts des patients», nuance Dominique Sprumont.

Enfin, remarque est aussi faite que l’implémenta­tion pratique de ce formulaire de consenteme­nt, partout en Suisse, a été sous-estimée lors de cette consultati­on. Une tâche que souhaite prendre en charge la Swiss Biobanking Platform, organe appelé à coordonner toutes les biobanques dans le pays. «Nous souhaitons aussi développer une identité visuelle unique pour ce formulaire, et créer du matériel didactique vulgarisé (imprimés, site internet, etc.) pour le rendre compréhens­ible», dit sa directrice, Christine Currat.

«Notre objectif est surtout qu’il existe une première version de ce document de consenteme­nt national, quitte à ce que celui-ci soit ensuite amélioré, ceci afin que notre recherche clinique ne perde pas du terrain et que toutes ces biobanques puissent travailler de concert, tant la Suisse est trop petite sinon», résume Daniel Scheidegge­r, qui dit craindre que l’établissem­ent d’une loi fédérale ne prenne trop de temps. «Une loi est trop lourde, estime lui aussi Patrick Francioli. Il doit être possible de s’en sortir autrement, avec une ordonnance par exemple.» «Il est dans l’intérêt de tous, chercheurs inclus, que les choses soient faites clairement, afin que les patients aient confiance en la manière dont leurs échantillo­ns sont traités», insiste de son côté Rebecca Ruiz.

«La sécurité des données biologique­s personnell­es n’est légalement pas assurée» FRANZISKA SPRECHER, MEMBRE DE L’ORGANISATI­ON SUISSE DES PATIENTS

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(DR) Dès qu’une personne a livré ses données à une biobanque, elle n’a plus d’influence sur elles, dénoncent des organisati­ons de défense des patients.

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