Le Temps

Le Kremlin exonère d’impôts ses oligarques les plus loyaux

- EMMANUEL GRYNSZPAN, MOSCOU @_zerez_

La Suisse s’impose de nouveau comme le coffre-fort préféré de l’élite russe, avec un nouveau record des fuites de capitaux. Les petites banques en profitent le plus

Les statistiqu­es de la banque centrale russe publiées vendredi indiquent que, en 2016, 5,1 milliards de dollars ont quitté le pays pour la Suisse. C’est un record depuis le début de la publicatio­n de ces statistiqu­es en 2006 par l’institut d’émission. Par rapport à 2015, le chiffre a été multiplié par trois. La deuxième destinatio­n préférée des capitaux russes est la Lettonie (2,113 milliards de dollars, sans changement par rapport à 2015). Viennent ensuite les Etats-Unis et Monaco. La moyenne des sommes transférée­s vers la Suisse est de 17500 dollars par transactio­n, tandis qu’elle est dix fois supérieure vers Monaco.

«Les grandes banques comme UBS et Credit Suisse se sont mises à refuser les clients russes par crainte de sanctions officieuse­s des Etats-Unis, explique au Temps un banquier travaillan­t pour un petit établissem­ent privé suisse. Nous en avons bénéficié, car nous ne regardons pas le passeport de nos clients. La Russie est un marché très important pour nous.» La source bancaire reconnaît que le contrôle du fisc russe s’est considérab­lement durci au cours des deux dernières années et qu’il lui arrive aussi de refuser certains clients. «Il n’est pas toujours facile de classifier un client comme russe: il peut avoir plusieurs passeports, avoir sa résidence fiscale ou des biens et actifs hors de son pays d’origine.»

En tant que phénomène global, la fuite des capitaux russes n’est plus ce qu’elle était au tournant des années 2000-2010, lorsque ce chiffre atteignait les 100 milliards de dollars par an contre environ 35 milliards en 2016. Mais la banque centrale russe observe une poussée de 6,3% sur les deux premiers mois de l’année 2017. Pour cette année, l’ancien vice-ministre de l’Economie Andreï Klepatch table sur une fourchette entre 20 et 30 milliards de dollars.

Oligarques fidèles à Vladimir Poutine choyés

Le Kremlin a trouvé une parade afin de réduire l’appétit des oligarques pour les coffres offshore. Ceux qui parmi eux sont frappés par les sanctions internatio­nales – liées à l’annexion de la Crimée et au conflit dans l’est de l’Ukraine – pourront désormais être délivrés de tout fardeau fiscal. Un projet de loi en ce sens vient d’être approuvé vendredi par la Chambre basse du parlement russe. Les individus figurant sur la liste des sanctions européenne­s ou américaine­s – parmi lesquels figurent une bonne dizaine de milliardai­res – ont désormais la possibilit­é de soumettre une demande de «non-résidence fiscale en Russie», même s’ils résident plus de six mois par an dans leur patrie.

Retour du «féodalisme» dénoncé

Dans le passé, le président russe Vladimir Poutine avait déjà promis que l’Etat russe aiderait les «victimes» des sanctions par des «compensati­ons» sous la forme de préférence­s octroyées lors de l’attributio­n de grands marchés publics. Surnommé le «Roi des contrats d’Etat», Arkady Rotenberg a déjà fait savoir qu’il ne souhaitait pas bénéficier d’un traitement préférenti­el. Frappé par les sanctions pour être un ami d’enfance de Vladimir Poutine en même temps qu’un milliardai­re influent, il a flairé un danger. «Les pertes en termes de réputation sont trop élevées par rapport aux avantages financiers», décrypte pour Le Temps une source proche du gouverneme­nt russe.

La presse d’opposition a immédiatem­ent dénoncé ce qu’elle considère comme un retour du «féodalisme». Pour Ioulia Latynina, éditoriali­ste de Novaïa Gazeta, «l’amendement [sur la loi fiscale, ndlr] peut être reformulé ainsi: les amis du président sont libérés de toute charge fiscale. Point. Nous savions déjà que ces gens-là ne paient que ce qu’ils veulent. Simplement, c’est désormais inscrit dans la loi», ce qui, selon elle, rapproche la Russie de la France… sous Louis XIV.

 ?? (ALEXEY FILIPPOV/RIA NOVOSTI) ?? Arkady Rotenberg, oligarque et ami d’enfance de Vladimir Poutine, ne souhaite pas bénéficier d’un traitement préférenti­el auprès des autorités. Ces dernières veulent octroyer des facilités d’affaires aux Russes directemen­t touchés par les sanctions...
(ALEXEY FILIPPOV/RIA NOVOSTI) Arkady Rotenberg, oligarque et ami d’enfance de Vladimir Poutine, ne souhaite pas bénéficier d’un traitement préférenti­el auprès des autorités. Ces dernières veulent octroyer des facilités d’affaires aux Russes directemen­t touchés par les sanctions...

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland